samedi 16 octobre 2010

Mai 68 redux...

Commentaire des commentaires, et tout est commentaire ! Surtout sur un blog secret que personne ne lit !

Commentaire, commentaire, est-ce que j'ai une gueule de commentaire ?

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Donc, la France redécouvre les manifestations de rue, les grèves, les trains qui sont annulés et la peur de la grande panne d'essence, qui videra les routes ou enverra tous les frontaliers faire le plein au Luxembourg, en Andorre, aux États Unis, pourquoi pas ? On parle aussi de manque de kérosène à CDG, donc de ciel clair et d'autocars emmenant des passagers à Bruxelles ou à Barcelone, pour peu que lesdits bus viennent de là-bas, réservoir plein jusqu'aux gencives ! Les routiers parlent de bloquer les routes, angoisse fantasmagorique suprême...

Une belle image de chaos annoncé, complaisamment relayée par la radio et par les conversations en ville : "aujourd'hui j'avais besoin d'essence, j'ai du faire deux stations avant de pouvoir trouver du gazole". Un journaliste sur France Info en profite pour réactiver sa rubrique sur les rumeurs, les légendes urbaines, ces millénaires angoisses collectives qui expriment la peur que notre mère la Terre nous abandonne, nous ses enfants, à un monde sauvage et impitoyable !

Pourquoi cet émoi collectif, qui associe cheminots, ouvriers, fonctionnaires et lycéens ? Pourquoi dans le cadre strictement limité de l'hexagone, puisque la fièvre s'arrête exactement aux limites du pays, démontrant ainsi que collectivement nous sommes français, différents, républicains et que l'Europe de l'Union ou le Monde de la mondialisation ne nous concernent finalement pas quand les choses sont graves...!

Union nationale du pouvoir et de l'opposition, des riches et des pauvres, des fonctionnaires et du privé, des adultes et des jeunes pour s'affronter sur des problèmes à nous, qui nous concernent, nous et personne d'autre ? On ne peut que penser au nuage de Chernobyl, qui faisait déserter les marchés de fruits et légumes aux sarrois, mais 10 km plus loin, ne troublait pas les lorrains, parce qu'on avait expliqué aux français leur exception nationale, qui parlait aux vents et arrêtait le nuage radioactif aux frontières.

Les retraites, les retraites, les retraites... La voilà la cause du séisme annoncé.

Pour être franc, je n'ai pas compris grand chose aux débats de fond sur le sujet que j'ai écoutés ou lus depuis 6 mois de la télévision, sur le Monde ou sur le magazine du parti socialiste, que je parcours avec sympathie mais trouve fort ennuyeux parce qu'il est consacré à un monde différent de celui où moi je vis. Pas bien compris ces distinctions entre âge légal, âge de cotisation à taux plein, âge de départ réel, niveau de couverture de la retraite, âge de départ obligatoire, etc. Et vous ?

Je fais de l'humour avec mes collègues en expliquant que je vais me participer à la prochaine manif sous une pancarte disant "pas avant 70 ans !", un alexandrin facile à hurler dans la rue. Je dis que je me suis concerté avec Naomi, 6 ans, pour savoir si elle allait participer elle aussi au prochain défilé de protestation : après tout, au-delà des paradoxes faciles, elle est encore plus concernée que les lycéens !!

Les questions de démographie sont difficiles, certes, et l'ONU publie depuis dix ans des prévisions mondiales qui démentent, d'une année sur l'autre, celle de l'année précédente: pas moyen d'accéder à la vérité sans se tromper et sans corriger d'un rapport à l'autre (http://esa.un.org/UNPP/). En outre les mécanismes de retard ou d'anticipation entre aujourd'hui et demain, donc entre les générations, impliquent tellement de choses essentielles, que les meilleurs esprits ont quelque peine à les appréhender : ça ne peut être qu'une incidente ici, mais si la Chine prend aujourd'hui la place que l'on sait et dispute les premiers rôles aux USA, 10 ou 20 ans plus tôt que tout le monde ne l'attendait, c'est parce que les transitions démographiques ont permis et en même temps masqué le fait très simple que la Chine reprend le rang qu'elle a presque toujours occupé parmi les puissances mondiales... N'oubliez pas qu'au premier siècle, les deux villes les plus peuplées de la planète étaient Rome et Pékin.

Bref, on arrête de travailler, on perd une partie de son salaire, on bloque le fonctionnement normale de l'économie, on crie et on s'enflamme dans les rues pour une raison essentielle mais mal débattue, en fait si mal informée qu'on arrive rapidement à la conclusion que ces analyses techniques qu'on n'a pas eues ne sont pas l'essentiel.

Car bien sûr, on ne peut pas dire sérieusement que les gens sont inconséquent, incohérents, irresponsables. Les sociologues ont largement démontré que tout cela obéit à une logique propre, différente probablement de celles des démographes, des ministres et des parlementaires, mais qui n'en est pas moins réelle puisqu'elle fait marcher des foules. On a tous intérêt à écouter les sciences subtiles, nouvelle association de mots pour parler des sciences qui ne sont pas dures, mais qui ne veulent pas être molles non plus : les sociologues et les psychologues démontent en effet les logiques qui nous font agir, consciemment ou pas, mais qui sont aussi fortes, plus fortes mêmes que les logiques des experts qui savent des vérités validées par des disciplines vraies à priori, ces morceaux de la grande science.

Quel est donc le moteur qui fait bouger les français en ces jours particuliers, le carburant qui se transforme en exergie, en travail au sens de la physique ? Amusant de parler ici de travail, quand on parle en fait de grève...

Là on revient dans l'espace du blog, dans le domaine du "je pense que", parce qu'on n'a pas le recul ni le temps d'être un peu plus systématique et sérieux dans sa réflexion. Les plus puissants penseurs parleront des hauteurs de l'Olympe de la philosophie, mais, la plupart d'entre nous, plébéiens du clavier, plus modestement du comptoir du café du commerce.

Donc, je pense que les gens brusquement sortent des rôles qu'on leur a assignés et qu'ils semblaient avoir acceptés, ceux de consommateurs matériels et culturels, d'électeurs tous les deux ou trois ans, de salariés à la merci d'un hiérarchique qui peut cesser d'être bienveillant, de chefs de petites entreprises qui s'arrachent les cheveux au quotidien pour continuer à exister d'un jour sur l'autre. Un sujet important, les retraites, leur parle subitement de l'avenir, qui est incertain, mal décrit, inquiétant voire carrément anxiogène, et là ils crient : attendez, on arrête tout, il faut parler, comprendre, expliquer, s'expliquer, dialoguer, voir pratiquement quelle prise on peut avoir sur l'avenir, sur notre avenir, si l'avenir existe... Rupture dans le train-train d'un présent accéléré qui est en même temps gelé dans une précipitation sans perspective (cf. Beshleunigung, accélération).

Tout le monde le comprend bien, les lycéens par exemple, que les adultes prennent de haut mais qui disent simplement que la retraite, c'est leur avenir immédiat, celui où ils vont rentrer rapidement quand ils auront un travail, si et quand ils en auront un, ajoutent-ils avec une vraie perspicacité. La retraite des salariés qui défilent sera payée par les lycéens qui commencent à défiler. Qu'en sera-t-il d'ailleurs de leur propre retraite se demandent certains de ces ados, sans trop passer de temps à construire des réponses sur cette question si lointaine qu'elle n'angoisse pas encore et qu'elle n'a peut-être pas de réponse ?

Je n'ai pas de soucis que ces jeunes aillent dans la rue. J'y allais à leur âge, vieux bobo soixante huitard que je suis, et c'est à 16 ou 17 ans qu'on acquiert une conscience politique, un organe qui ne fait pas de mal dans la vie pour exister. J'aime d'ailleurs bien la formule choc et un peu démago, vingt fois répétée que si on peut aller en prison à 13 ans on peut défiler à 17 !

Ce qui fait se cabrer tout ces gens, à mon avis, c'est que le gouvernement a imaginé une solution à un problème que personne ne nie, en tout cas pas la majorité des gens - celui du financement pérenne des retraites par répartition, mais sans prendre le temps d'en discuter ni d'y chercher une solution collégiale, collective, républicaine, démocratique. En prenant le temps de parler de l'avenir, des options que nous avons, nous les français, des liens que nous entretenons avec les monde non français et des contraintes-opportunités que celui ouvre ou ferme.

Vaste programme, pas abordé du tout par un pouvoir qui sait tout et sait donc quelles décisions prendre, qui sait comment faire voter celles-ci en loi, malgré des millions de gens dans la rue qui crient "pouce !" Donc, soupçon d'une grande injustice sociale du projet de loi : mais, là encore, je n'ai pas compris en détail si c'est vrai ou pas, même si, intuitivement j'ai une petite idée de la réponse.

Et si ce chambardement annoncé se révélait un grand chambardement ? Voilà ma nostalgie soixante huitarde qui me reprend...

Plus d'essence pendant un mois, deux mois, plus de voitures hors peut-être la police et les ambulances. Plus d'avions pour aller au bout du monde pour une réunion de quatre heures ou pour 4 jours de vacances au soleil (il fait froid, dehors !). Je vais aller bosser en vélo sans me faire renverser par une voiture. J'y vais en tenue de sport, pas en costume cravate.

On pourrait ainsi apprendre rapidement à changer de paradigme, à inverser par exemple pistes cyclables et routes à voitures... Donner priorité aux vélos, transformer tout l'espace public en espace de rencontre, reconvertir ces circuits automobiles ubiquites, qu'on appelle rues, routes ou autoroutes. Inventer des solutions concrètes aux milliers de problèmes auxquels nous serions confrontés.

Alors évidemment cet optimisme en la capacité instinctive de notre société à voir les murs vers lesquels elle se précipite un peu avant la collision est un trait de caractère de ma part, un optimisme pas certain du tout, un peu comme le techno-optimisme des économistes et des sociologues avec lesquels je travaille sur des projets de prospective à long terme.

Mais comme ma fille préférée me le fait remarquer (je n'ai qu'une fille, bien sûr !), ceux qui sont dans la rue aujourd'hui sont avant tout les privilégiés des régimes particuliers de retraite que sont les cheminots et les qinquas, qui vont l'avoir, leur retraite, à un ou deux ans près, et donc pouvoir partir en vacances pour les trente ans à venir. Le problème des lycéens n'est pas leur retraite, mais le boulot qu'ils vont galérer pour avoir : il faut 2 ans et de demi avec un diplôme universitaire aujourd'hui pour accrocher un premier vrai job. Et personne ne parle pour les chômeurs, qui ne cotisent pas ou plus, pour les SDF, pour les femmes - qui a prononcé le mot de pension de réversion pendant ces campagnes à propos de la retraite ???

La pauvreté sur la planète et la paupérisation des sociétés riches sont les deux versants d'une des questions majeures d'aujourd'hui, à côté de la faim dans le monde et du changement climatique. Le dilemme pour l'avenir, croissance ou décroissance, pour cause de réchauffement ou d'épuisement des ressources, ne se pose plus dans ces termes : il y aura croissance asthmatique pour la société européenne, croissance confortable pour les riches, les nantis, et décroissance pour les pauvres ! Je ne suis pas sûr que la réforme des retraites du gouvernement aborde ces questions, je suis même sûr que non !

Une autre question qui me préoccupe, c'est que nos sociétés soient beaucoup trop lentes à résoudre les problèmes essentiels qui confrontent l'avenir et qui devraient se résoudre en anticipant les ruptures de paradigmes sociétales. La démocratie dans la vie politique ne marche pas si bien que cela, en tout cas elle échoue sur ces questions qui vont au delà de la gestion du présent. Les entreprises aussi, piégées de gré ou de force dans l'économie de marché, des marchés financiers en fait, ne tire pas non plus son épingle du jeu. Des pays qui risquent leur peau, au sens propre, comme Israël, n'arrivent à se désengluer d'une pensée immédiate et égoïste. La presse cultive l'instantanéité et la dévaluation en temps réel des informations qu'ils diffusent.

Il manque de la confiance, de la candeur, un peu de profondeur, un brin de réflexivité philosophique, de l'intelligence subtile, de la solidarité, pourquoi pas de la fraternité ?

Aller donc lire la parabole des ouvriers de la vigne...

L'alternative, si on ne résout pas ces questions difficiles, est plus de misère, plus de pauvreté, la guerre, la révolution ?, le vrai chaos, pas celui des manifs !

dimanche 11 juillet 2010

Au pays des cheikhs en blanc et des dames en noir...


Les Emirats Arabes Unis (EAU), Dubai, Abu Dahbi, c'est au bout du monde, dans l'inconnu de l'altérité, et si on en a tous entendu parler, qu'en sait-ton ?


Une mission où j'ai joué le rôle d'un expert auprès des Nations Unies m'a envoyé là-bas pour 3 jours en juin 2010. Dans les interstices entre les réunions de travail et les rencontres sociales qui les accompagnent, quelques instants pour regarder et s'étonner, à la Candide.

Ma réunion traitait de capture du CO2, une technique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, donc d'un sujet écologique global s'il en est, l'atmosphère et la dispersion des gaz à effet de serre qui s'y pratique grâce aux lois de la physique, concrétisant cette réalité holistique, gaïenne, planétaire, globale pardon !

Les EAU sont les deuxièmes émetteurs de CO2 par habitant dans le monde: 32,8 t/cap derrière le Qatar et avant le Koweït, Bahrein, tous des voisins du Golfe Persique. Les Etats Unis, toujours pointés du doigt comme les pires pollueurs dans ce domaine, ne sont "qu'à" 19,1 t au 9ème rang, alors que la France, bardée de ses centrales nucléaires et de ses barrages, est à 5,8 au 59ème rang. Dans un pays protestant comme la Norvège, au 40ème rang mondial, on dirait que le pays recherche les moyens d'expier ses mauvaises performances dans ce domaine, d'autant qu'Abu Dhabi et Norvège sont par ailleurs de grands producteurs et exportateurs de pétrole. Un exportateur de pétrole est un exportateur, certes virtuel mais néanmoins très réel, en bout de chaîne de valeur, de CO2. Expiation, atonement, recherche du pardon par des actions de remédiation. Peu importe les explications relevant de l'éthique des relations internationales, le pays a invité l'ONU à se réunir ici, laquelle, selon ses statuts, se doit d'accepter ce genre d'invitation.

Merci donc à ces règles de courtoisie internationale pour les 14 heures d'avion, aller-retour, depuis Paris et pour l'empreinte carbone non négligeable que la centaine de participants a inscrite dans l'atmosphère - anathème un peu facile à jeter, car les émiriens présentent leur pays comme un lieu de passage, un hub où le Nord et le Sud, géographiques et géopolitiques, se croissent. Merci aussi de cette occasion de nous donner à voir un autre monde qui fait partie de notre monde.

Atterrissage au petit matin dans la brume! Çà pourrait paraître paradoxal en plein cœur du désert d'Arabie, mais l'eau couleur d'émeraude du Golfe, auprès de laquelle se lovent les villes de Dubai et d'Abu Dhabi, en est nous dit-on la cause. Donc chaleur accablante et humidité maximale, un cocktail de rêve!

Rencontre des premiers bédouins en habit et coiffe blancs, agents d'immigration, un sujet trop sérieux pour être confiés à des travailleurs étrangers.

Dans ce pays où 85% de la population est immigrée et donc seulement 15% sont des citoyens, certaines activités comme celles de fonctionnaires sont réservées aux nationaux. Ces chiffres font sourire, quand on se rappèle les "lois" sociologiques invoquées par des hommes politiques en France et énonçant un chiffre de 15% aussi, mais à l'envers, au-delà duquel le nombre d'étrangers deviendrait excessif! Évidemment, rien n'est parfait ici non plus, car les étrangers ne viennent qu'avec des visas de travail à durée limitée et la naturalisation ne peut jamais se faire plus ou moins automatiquement après un long séjour, comme c'est le cas en Europe ou aux Etats Unis. Ce n'est pas de l'esclavage, n'est-ce pas, mais ce n'est pas non plus un statut très ouvert...

Les étrangers travaillent partout, en particulier sur les chantiers de ce monde minéral en construction verticale dans le centre ville et en étalement horizontal dans les banlieues. La loi stipule qu'au-delà de 40°C, on doit arrêter de travailler. Une anecdote locale raconte que les thermomètres sont bloqués à cette valeur, un peu comme les diplomates arrêtent leurs pendules à minuit, pendant qu'un consensus se créée dans les heures creuses des petits matins.

J'apprends aussi que les lasers verts sont interdits dans les EAU - quand mes bagages sont radiographiés et le cœur du délit exhibé. "Pas de problème jetez-le donc!" tentais-je pour accélérer les choses et aller rejoindre le chauffeur qui m'attend à la sortie dans l'aéroport pour me conduire de Dubai à Abu Dhabi, 120 km d'autoroute, le long de la côte à travers le désert. Néni, à la bureaucratie tu n'échapperas! On m'emmène dans une salle où on doit me délivrer un reçu, dont je n'ai nul besoin, et on me fait asseoir dans une salle d'attente, en face d'émiriennes fonctionnaires, un demi-douzaine, qui se congratulent, s'embrassent, ne font presque rien sauf nous faire attendre, dans leurs belles abayas noires dont certaines sont décorées de galons sur les épaules - certainement encore des citoyennes. 45 minutes pour rien, rien du tout, mais probablement moins que rien dans la temporalité de la culture locale.

Je retrouve mon chauffeur, qui allait repartir, pensant que je n'étais pas dans l'avion de Paris d'Emirates.

C'est un Sri Lankai, qui va me raconter comme on travaille à Abu Dhabi. Il est revenu récemment, après avoir quitté le pays au moment de la crise, et dix ans de séjour. Il ne tarit pas d'éloges sur les émiriens, que l'état paie pour ne rien faire, une pension à vie sans contrepartie, une assurance chômage sans travail préalable, une sorte d'impôt négatif. Comme les EAU ont un PIB par habitant de 42.000 $ en PPA, égal à celui du Luxembourg, le pays le plus riche d'Europe, que tous les habitants sont inclus dans ce calcul, y compris les immigrés mal payés, cela signifie une rente importante! Les revenus du pétrole, redistribués initialement par le Cheikh Zayed, le premier chef de l'état des EAU, un prince d'Abu Dhabi, profitent ainsi à toute la population.

Dès qu'on roule à travers la ville, pour gagner le Sud, la prospérité de Dubai éclate.

On hésite dans les métaphores, porté dans cette démarche spontanée et probablement très ethnocentrique de vouloir ranger ce que l'on voit dans des cases préexistantes: cette forêt de très hauts immeubles, alignés comme des crayons pointés vers le ciel, c'est Shanghai, ou alors Pékin du fait du travail des architectes qui ont produit là des œuvres majeures, qui figureront dans les livres d'art, rien à voir avec les tours de Sarcelle ou celles de São Paulo. Le boulevard est une autoroute, qui traverse la ville, comme à LA, avec des échangeurs complets, une ligne de métro qui coure en son long, et des passerelles couvertes, probablement sous air conditionné, qui établissent les liens avec les immeubles. Des grosses voitures, de belles voitures, de beaux 4x4, on n'aperçoit personne dans les rues pourtant monumentales, comme tout le reste. A Abu Dhabi, avec ses parcs, ses fontaines, ses murs d'eau, on pensera aussi à Las Vegas et à Grenade et ses jardins. Tout est neuf, tout est propre et rutilant, grand soin porté aux matériaux de revêtement de tout.

Quel équilibre entre tout cela et l'environnement du désert et de la mer? On sent physiquement la pente des gradients qu'il faut entretenir à grand renfort d'énergie et d'argent, pour maintenir ici, sous les 40 ou 50° qui dardent du ciel, ce modèle de ville qui vient d'ailleurs... Qui a été inventé aux Etats Unis il y plus d'un demi-siècle, un siècle en fait, quand les ressources étaient infinies et l'attente d'un avenir rayonnant permettait de traduire ce rêve en pierre et en macadam. Quel pertinence cela peut-il avoir dans un monde qui s'avance vers une catastrophe climatique? Pourquoi construire avec des modèles qui ont vécu et dont la critique a été faite ailleurs? Pourquoi refaire les mêmes bêtises que les autres? Ou est la pensée autonome, novatrice, en rupture???
Là-bas c'est la tour Burj Khalifa, avec ses 826 mètres de hauteur et ses 162 étages... une fusée dressée vers le ciel, qui joue avec le soleil qui se lève. Les architectes, depuis les cathédrales gothiques du moyen âge européen, reconstruisent la tour de Babel pour monter à l'assaut des cieux et se rapprocher de dieu.

Ailleurs, c'est la silhouette de l'hôtel Burj Al Arab, dont la forme de voile est si élégante et si évidente: la forme de la voile des boutres (dhow (arabe : داو) ), ces bateaux qui rattachent à la tradition arabe, à la mer rouge, aux pêcheurs de perles, ruinés dans les années 50 par la perle de culture japonaise. Une forme qu'on retrouve souvent, probablement imposée dans le cahier des charges de ces immeubles commandés à des cabinets d'architectes internationaux.


Les portraits du Cheikh Zayed - Sheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan - sont partout, dans le style de celui de Mao sur la place Tian an Men à Beijing ou de celui du Che Guevara sur la place de la Révolution à La Havane. "Notre père", disent les émiriens, celui qui a institué l'état providence au sens émirien du terme, expliqué plus haut. Il a même un site internet pour perpétrer son souvenir, sorte de panthéon virtuel et numérique, avec ce suffixe .com qui montre que le business est parfaitement respectable: http://www.sheikhzayed.com/biography.htm

Pas de chameaux, pas de chevaux arabes le long de la route, pas de faucons non plus dans les airs. Seulement des faisceaux de lignes à haute tension qui courent la campagne, vers le nord et vers le sud, issues de ces centrales thermiques qui jalonnent presqu'en continu la côte - il faut de l'eau pour les refroidir! - et qui doublent en usines de dessalement de l'eau de mer, la seule vraie ressource en eau locale, un des outils fondamentaux pour maintenir le gradient entre le monde moderne voire post-moderne des émirats et l'environnement local.

Quelques chiffres sur le pays.

Bonne référence, établie par des analyses compétents et fiables:
https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ae.html.

4,975 millions d'habitants urbanisés à 78% (77% en France). PIB de 201 G$ en PPA, généré à 78% dans les services. Only 25% today relies on oil and gas. The State has tried very hard to diversify out of oil and gas and has launched a constructon spree to support the tertiary activities based on the pivotal location of the country between Far East and West and North and South, the ambition to have it play a major role as a business center, a transportation hub and a tourist spot for the rich. Whether this dream will ever come true is not obvious. Les chantiers à l'arrêt se mesurent au nombre de grues perchées sur les immeubles inachevés et qui ne bougent guère - les grues comme les immeubles, ;-) . Les maisons, genre hôtels particuliers de quartiers TRES chics de villes européennes ou américaines, sont souvent vides sur l'île d'Abu Dhabi. La quasi faillite de l'émirat de Dubai, le plus agressif dans cette diversification, d'autant qu'il n'a pas de réserves de pétrole, n'a été évitée que par l'intervention très volontariste de l'émirat d'Abu Dhabi au travers de l'état et des banques. Il n'est pas évident du tout que les îles du Monde ou les îles palmiers de Dubai, seront jamais habitées comme cela était planifié. Évidemment, il serait de très mauvais goût d'évoquer la montée des eaux liées au réchauffement climatique, qui mettrait à mal non seulement les Iles Salomon ou Maldives, mais aussi les îles artificielles de Dubai.

Abu Dhabi, mon hôtel, très luxueux et très bien climatisé, très humide dans ses jardins en plein soleil. Non, ma chambre n'est pas une suite. Oui, au restaurant libanais de l'hôtel, on parle français... car les serveurs et maîtres d'h sont des marocains.

Mon séminaire, intéressant, mais hors sujet dans ce blog. Sauf pour dire que le pays va construire une des premières aciéries avec captage et stockage du CO2 au monde, qui sera en service à peu près en même temps que le démonstrateur européen d'ULCOS. Détail intéressant pour ce blog, ce projet sera financé par des CDM (MDP en français, Mécanisme de Développement Propre), cet instrument de Kyoto prévu pour fiancer les transitions aux technologies vertes du Sud, aidées par le Nord. Ici, Sud veut dire pauvre et Nord riche, ce qui était le cas dans les années 90 où le concept a été inventé, mais cela ne représente plus la réalité d'aujourd'hui. Du pain sur la planche pour que les gens de siences politiques pour réinventer des instruments plus proches de la réalité géopolitique actuelle.

Et maintenant quelques pas à l'extérieur - pour échapper au monde artificiel de la ville encapsulée. La chaleur me tombe physiquement sur les épaules. J'accuse le coup. Aucune idée de la vraie température (il faisait 33° au lever du soleil!), 40, 50°C? Seul souvenir semblable, la vallée de la Mort, en Californie.

La ville avec ses parcs, ses jardins, sa corniche de 8 km, ses larges trottoirs, ses belles pistes cyclables, n'est qu'un décors vide, une ville morte. Le minéral des immeubles et l'acier des voitures. Pas de passants, pas d'enfants, ni de cyclistes, ni d'animaux... Pourquoi, dans ces conditions, avoir choisi ce modèle de ville qui singe Paris, Washington ou Madrid? Il y a ailleurs des modèles de villes plus compactes avec des villes troglodytes, cachées et protégées des températures extérieures, comme Minneapolis, Montréal, Toronto.

Mon escapade pédestre, le vendredi quand je suis parti en voiture explorer la ville, n'a pas dépassé 20 minutes, promenade en bord de plage dont je suis sorti épuisé malgré le litre d'eau, la casquette et les verres solaires...

Les touristes, dans ces conditions, ont peu de chance de s'aventurer à l'extérieur. Ils devront passer du musée du Louvre au Guggenheim, à l'hôtel des Emirates - quand ils seront terminés, bien sûr. Bains de minuit seulement, en piscine réfrigérée de préférence, et pas en tenue de naissance, le pays ne le tolèrerait pas.
Le monument le plus fascinant d'Abu Dhabi est la mosquée du cheikh Zayed, une version moderne du Taj Mahal terminée en 1998, aussi esthétiquement ambitieuse et, presque, aussi réussie. Le marbre blanc de Carrare y est pour quelque chose, mais aussi les formes architecturales islamiques, les dômes et coupoles, les colonnades avec arcs outrepassés, les stucs finement sculptés, les céramiques, les calligraphies, les minarets, les tapis - le plus grand du monde venu d'Iran, 35 t, en une seule pièce...

Il sera fascinant de voir comment ce pays va négocier le pic pétrolier et l'après pétrole et comment il va réussir à maintenir son existence hors d'équilibre quand le milieu demandera avec exigence à être mieux respecté. Une ville arrachée au désert redonnera-t-elle une place aux modes de vies ancestraux des bédouins, qui eux étaient en équilibre respectueux de leur environnement ? Car les Bédouins, aujourd'hui, passent beaucoup de temps sur leur blackberry (bb) plutôt que dans le désert, ce sont des BBB, des blackberry Bédouins...

Un mot aussi n'a pas sa place ici, celui de démocratie. Il existe certes des libertés, mais je ne les ai pas comptées et ne sait donc pas si le compte est bon...

Envie d'y aller voir vous-mêmes?

L'habit blanc des hommes s'appelle la dishdasha, la coiffe, la guthra, et l'habit noir des femmes, l'abaya.

http://www.visitabudhabi.ae/fr/uae.facts.and.figures/culture.history.and.heritage/culture.lifestyle.and.traditions.aspx

mercredi 21 avril 2010

Recadrage

C'est assez lunaire ce qui se passe dans l'actualité.

D'un côté, un volcan islandais a paralysé le transport aérien pendant 5 jours. Pour des raisons pas très claires, en tout cas pas très bien expliquées par la presse, l'espace aérien européen a été complètement fermé. A quelques aéroports près, comme celui d'Auxerre, qui avait dû être oublié pendant quelques jours par les régulateurs - un préfet parti en vacances par exemple.

De l'autre, "tout le monde" s'interroge, comment est-ce possible, en 2010, avec toute notre technologie, etc. "Que fait donc le gouvernement", etc. encore. La radio et la télévision ont mis quelques temps à s'organiser pour proposer des clés de compréhension. Ils ont organisé tout de suite des émissions dédiées à cela, mais la clarté a mis plus de temps à se faire... D'abord on a parlé des Français les français expatriés - pour des vacances ? - qui ne peuvent pas rentrer en avion et "galèrent" au bout du monde. On ne sait d'ailleurs pas si ils sont 50.000 ou 150.000, un détail, les chiffres sont difficiles à gérer dans la communication classique. On se fiche pas mal aussi des non-français et on diffuse des micro-trottoirs où les gens sont vraiment choqués d'être perdu au bout du monde, de devoir payer des hôtels et des restaurants, et que personne ne leur explique rien... Ensuite on a convoqué des experts pour leur faire expliquer en un quart d'heure, une heure parfois, pourquoi et comment, à propos des volcans, de la météo, des avions, des réacteurs qui s'arrêtent – bloqués par de la poussière ou de la silice qui fond on ne sait pas trop, des risques pour la santé, des risques, des risques, que personne n'arrive semble-t-il à évaluer, à appréhender, à définir. Des gens plus sensés que d'autres se demandent d'ailleurs si la notion de risque a un sens dans ce cas ?

Des risques, des responsables, des gens qui les acceptent ou les refusent, selon ce qui les arrangent, un ministre - Kouchner, pas moins ! - qui déclare qu'on ne peut pas se permettre de prendre le moindre risque. Et hop, on reparle du principe de précaution !

Cela fait suite à cet épisode sordide où une grande marée a piégé 50 personnes dans des maisons inondées en France - oui en France, au 21è siècle, etc. voir plus haut ! - et ils y sont morts. Court débat sur le risque, encore lui. Le gouvernement, qui doit résoudre tous les problèmes c'est bien connu, décide donc de rappeler les maisons construites là où il ne fallait pas, un peu comme

Toyota rappelle des voitures qui ne freinent pas. Et les propriétaires (une catégorie globale citée par la presse sans qu'on sache bien de qui il s'agit) de hurler au nom de leur liberté de construire là où ils veulent.

En gros tout le monde dit tout et n'importe quoi, du citoyen au ministre, avec la part du roi aux journalistes, si persuadés qu'ils doivent informer vite et tout le temps, qu'ils diffusent une pensée de moineaux à leurs auditeurs. Comparaison peut-être injuste pour les moineaux !

5 jours après, on commence tout juste à entendre que le volcan émet ses cendres par bouffées, donc pas de dispersion continue d'un panache, mais de petits nuages qui se succèdent, comme des bulles de fumée sortant de la bouche d'un drogué de la cigarette. Que la taille et la concentration des poussières varie, que celles qui voyagent loin sont microniques (1 µm ou 0,1 µm ???), qu'on n'a pas vraiment d'outils pour mesurer les concentrations de si petites particules - ce qui n'est pas exact dans l'absolu, beaucoup de labos sont équipés, mais cela demanderait sûrement pas mal de travail pour passer à une échelle convenable - le nuage ayant été dispersé sur toute l'Europe au nord des péninsules méditerranéennes. On nous a même montré une carte du nuage, ombré en concentrations, sur le IHT d'aujourd'hui...! C'est presque de la science !

Donc, la vérité, c'est qu'on ignore beaucoup de choses et qu'il faut un certain temps pour mobiliser ce que l'on sait, créer de nouvelles connaissances et transformer le tout en réactions, décisions, plan d'action. Dans le cas de l'épidémie de la vache folle, il a fallu 2 ou 3 ans pour reconstituer la chaine des causes, imaginer des parades et mettre en place des mesures qui ont effectivement fait disparaître le problème, sans que le tiers de la population britannique de meure de Kreuzfeld Jakob.

Le scandale n'est pas tant que l'on ne peut pas fabriquer des réponses à des questions très difficiles en quelques heures, mais que "les gens" pensent que c'est possible, que ce devrait être possible. Les gens, à nouveau, on ne sait pas trop qui c'est, car c'est le discours débilitant qui coule des radios en continu qui leur donne la parole. Je les soupçonne de répondre aux questions qu'on leur pose, pas de réfléchir devant un micro… D'ailleurs qui peut réfléchir sur l'étendue de ce qu'on ne sait pas en quelques secondes de prise de parole ?

L'autre scandale, c'est qu'on vit en flux tendu, comme Toyota. On part en vacances au bout du monde, 10.000 km, pendant 5 jours et 6 nuits, et tout est minuté pour revenir quelques heures avant la reprise du travail. Ou on va en réunion à Tokyo, pour 24 heures, avant une autre réunion à Paris et avant de remonter dans un avion pour le Brésil. Tout cela rythmé par la musique qui coule dans les écouteurs d'un iPod, les dizaines de méls qui tombent chaque jour… Si un avion manque, on prend le suivant, si deux avions manquent, si trois avions manquent, etc. , c'est un problème de logistique au niveau mondial, une espèce d'embouteillage comme ceux qui congestionne les autoroutes urbaines tous les soirs et tous les matins, mais mutatis mutandis.

Ce n'est d'ailleurs que l'écume des choses, les loisirs, car les objets qui voyagent aux quatre coins du monde ne le peuvent plus et d'autres chaînes logistiques se bloquent. L'instantanéité va de pair avec la mondialisation, qui va de pair avec le fait que les consommateurs ont pris l'habitude de payer le moins cher possible, ce qui se traduit par beaucoup de transports et de voyages, car les gradients de coûts de revient sont immenses dans le monde. Plus de transports aériens (aujourd'hui), ou plus de crédits (hier, la crise de 2008) et tout se bloque.

Les grosses machines, quand elles s'arrêtent, sont difficiles à redémarrer. Cela prend du temps, des années dans le cas de la crise.

Le scandale suivant est que les gens vers lesquels on se tourne pour "décider", "faire quelque chose", ne sont pas en capacité de le faire et n'en conviennent pas. Si je décide, alors que je ne sais pas, je suis dans une situation absurde. Mais Kouchner a-t-il reconnu qu'il était dans une situation absurde ? Les journalistes disent-ils qu'ils ne comprennent rien à ce qui se passe ? Les experts refusent-ils de répondre aux questions qu'on leur pose et insistent-ils pour les reformuler plus raisonnablement ? Non, non, non, et non !

Il y a quand même le fameux principe de précaution, qui dit que si on a le moindre doute, il faut tout arrêter. Un principe de droit international, qui n'en est d'ailleurs pas un, une logique qui permet de "communiquer" quand la bonne logique, l'honnête logique serait de dire qu'on ne sait pas. Le principe ne dit pas de tout arrêter, mais de s'abstenir. Si on s'abstient, dans nos systèmes si complexes, si tendus, si globaux, cela revient souvent à arrêter beaucoup de choses, donc à agir au-delà de ce qu'on comprend et qu'on veut réguler.

Le vrai principe de précaution, ce n'est pas d'agir à chaud, n'importe comment, c'est de se préparer à l'incident, d'anticiper avec des plans de prévention, des recherches conduites assez tôt, une culture du risque qui soit travaillée et acceptée. Les gens acceptent le risque quand ils montent sur leurs motos, quand ils mettent leurs gosses dans une voiture pour partir la nuit en vacances, quand ils construisent des immeubles de grande hauteur accrochés à des harnais (ou pas !), etc.

On n'est pas obligé de devenir des couards ou des froussards pusillanimes, incapables de gérer les problèmes, assez mineurs quand même, qui troublent la régularité et la célérité de notre fuite en avant! Il suffit de penser que nous autres, civilisations, sommes mortelles, comme les hommes et les femmes le sont. Et avant de mourir on tombe souvent malade et cela se traite la plupart du temps avant une issue fatale!

dimanche 14 février 2010

Identité nationale, mon débat à moi

A propos du débat sur l’identité nationale, lancée par le gouvernement et le Ministre Claude Besson.

Je n’aime pas bien être interpelé, en tant que citoyen, sur des sujets qui ont l’air sérieux mais qui sont manipulés par des hommes politiques plein de morgue et d'intentions partisanes. M. Besson ne me paraît un maître à penser suffisamment convaincant, par l’exemple qu’il donne et a donné, pour choisir les termes d’un débat qu’il entend imposer à la communauté nationale française… "Besson, le félon", comme disait le Canard quand il a rejoint l'UMP !

Mais on peut néanmoins reprendre les mots qu’il a assemblés et voir où ils peuvent mener dans une réflexion personnelle.

Identité, mon identité. Que suis-je ?

Je suis moi, unique, secret avec mes joies et mes peines, les raisons de l’investissement de mon temps, de mon énergie, de ma loyauté à des gens, des activités et des causes, de mes rêves et de ceux auxquels j’ai renoncés. Rien de très national là-dedans !

Je suis aussi un mari, un père, j’ai été un fils, je suis un homme de mon entreprise, je suis un chrétien. C’est mon jardin privé, je n’ai pas envie de parler de tout cela dans un débat public. Pas avec M. Besson en tout cas. Mais c’est certainement le cœur de mon identité. Dans ma vie professionnelle, je déclare à tout bout de champ, I am JPB from ArcelorMittal. Dans ma vie publique et familiale, je me définis comme le mari de ma femme, qui, elle, porte mon nom, échange.

Si je pense géographie et culture, que dis-je, vraiment, spontanément ?

Je suis le père de deux enfants, qui sont citoyens américains et français. C’est assez fascinant d’avoir engendré deux américains, moi le parisien, c’est beaucoup plus fort que la biologie, que le mélange des gènes !! C’est aussi un peu hors sujet, un peu dérisoire ? Non qu’il soit plus dérisoire d’être américain que d’être français, mais cela est une réalité d’une autre nature que le grand mystère de la perpétration de la vie, de l’espèce.

Je viens de me définir comme parisien, pourquoi n’ai-je pas dit creusois, comme cela m’arrive souvent de le faire, ou lorrain ? Je suis ces trois choses en même temps, je détiens ces trois passeports. Des passeports qui n’existent que dans ma tête d’ailleurs.

La Région me paraît une vraie source d’identification et d'identité. C’est à cette échelle que les relations sont humaines et simples. On y parle des vrais sujets qui font la vraie vie, on y partage des objectifs, des envies, des solidarités, des valeurs peut-être, si ce mot n’est pas trop galvaudé. On y échange de la gratuité. Il y a beaucoup de non-dit entre les différents acteurs, qui n’existent pas aussi fortement dans une entreprise, surtout si elle est mondiale, ni au niveau national où le pouvoir a été confisqué par des surdoués qui ont utilisé la démocratie pour le conquérir, mais pas pour la mettre en œuvre et m’y représenter à un niveau qui fasse sens pour moi ; surdoués, çà se discute, car l’intelligence n’est pas que le QI habituel. Besson en a certainement un trop plein, mais son intelligence émotionnelle est proche de l’autisme.

Je suis aussi européen. Je dirige un programme européen, un des plus gros qui existe en R&D de mon domaine d’expertise. On s’y rencontre, on y dialogue, on y travaille ensemble, on mange ensemble, on rit ensemble. Comme des européens, qu’on soit suédois, français, anglais écossais, autrichiens, hollandais, norvégiens, italiens, belges, grecs, finnois, allemands, espagnols… Efficace, intense, agréable dans l’effort et dans la qualité des échanges intellectuels. Avec beaucoup de respect mutuel.

We, in Europe, me suis-je entendu dire avec étonnement il y une trentaine d’année sur un podium en Corée et, depuis, c’est devenu pour moi une déclaration naturelle, réflexe.

Je suis aussi français.

Je parle français aussi bien que d’autres langues. J’aime parler français à Montréal, mais aussi à Londres, ce qui m’est arrivé il n’y a pas longtemps dans une réunion ds syndicats européens. Avec mes compatriotes, c’est en français que l’échange peut descendre au niveau de subtilité que les vrais échanges exigent, mais avec des Américains ou des Anglais c’est en Anglais que j’y parviens.

Je suis moins ce que j'ai été, que ce que je suis et que je construis, que je serai. Même à 62 ans, je suis en devenir et c'est cela mon identité, un flux, quelque chose qui n'existe pas encore complètement. Quad cela cessera d'être, je serai bon à ranger dans les bibiothèque, une nature morte bonne pour le cimetière.

Evidemment, je n'ai parlé que de mon identité, pas de l'identité nationale.

L'identité nationale existe-t-elle au-delà de celle que perçoit chacun d'entre nous ? Y-a-t-il une colline inspirée qui transcende les êtres et y concentre cette essence-là ? Probablement, j'en ai moi même parlé à satiété dans mes cours "d'interculturel", mais cette colline n'est pas seule, c'est une chaine de montagnes où les collines se juxtaposent. La colline française n'existe que parce que les autres collines existent, la chevauchent ou la dominent et parce que je parcours, nous parcourons tous toutes ces collines. Comment en isoler une seule ?

Et, au risque de me répéter, ce n'est pas tant le passé, la trace temporelle de ces collines dans l'histoire qui est importante, c'est celle que je vis et qui me sert de vaisseau sur le fleuve du temps, celui de l'histoire à venir, à construire...

Dans ce domaine, ce qui me parait le plus important, aujourd'hui et pour longtemps, c'est ma planète - ma vraie identité nationale. Mieux qu'une colline, non ? Une planète qui va emporter mes enfants, mes petits enfants, les générations futures comme disent les écolos désincarnés, vers un avenir que nous leur avons déjà en partie volé. La crise économique a une analogie physique et pas du tout virtuelle, dans laquelle l'humanité vit à crédit sur l'avenir, avec une empreinte planétaire plus grande que la planète et une année planétaire qui s'arrête en septembre, mois après lequel on vit de temps à venir.

Et, au lieu de s'y préparer, de prendre des mesures nécessaires et même complètement indispensables, on disserte pour savoir si une coquille dans le dernier rapport paru du GIEC* ne discrédite pas les 2000 autres pages.

Dans les années 50, aux Etats-Unis, on faisait faire aux enfants des écoles des exercices de survie, en cas d'attaque atomique: ils devaient apprendre à plonger sous leurs tables de classe et mon épouse, 50 ans après, le ressent encore comme un traumatisme, une angoisse profonde que l'état a enfoui dans l'inconscient de ses citoyens. Aujourd'hui, nous nous précipitons vers des catastrophes dont on n'a pas encore pris la mesure et on ne s'y prépare pas, même pas en apprenant à plonger sous les tables. Ce qui attend la planète entière, c'est le désastre qu'on a contemplé le coeur gros, mais les fesses bien au chaud dans les fauteuils de cuir de nos salons, en Haïti, si loin de nous.

Mon identité nationale, c'est Gaïa, et j'aimerais bien qu'elle garde une niche écologique pour les générations futures... celles des hommes bien sûr ! **

* la coquille sur la disparition des glaciers de l'Himalaya avant 2050... 3 pages de polémique sur ce sujet dans le Monde du 14 février, comme si ce journal équilibré avait eu son coup de folie et était entré dans le relativisme débridé, celui où tous les discours ont la même valeur, la même importance, la même charge de vérité !
** L’humanité disparaîtra, bon débarras… Yves Paccalet, Arthaud, 2006