dimanche 14 février 2010

Identité nationale, mon débat à moi

A propos du débat sur l’identité nationale, lancée par le gouvernement et le Ministre Claude Besson.

Je n’aime pas bien être interpelé, en tant que citoyen, sur des sujets qui ont l’air sérieux mais qui sont manipulés par des hommes politiques plein de morgue et d'intentions partisanes. M. Besson ne me paraît un maître à penser suffisamment convaincant, par l’exemple qu’il donne et a donné, pour choisir les termes d’un débat qu’il entend imposer à la communauté nationale française… "Besson, le félon", comme disait le Canard quand il a rejoint l'UMP !

Mais on peut néanmoins reprendre les mots qu’il a assemblés et voir où ils peuvent mener dans une réflexion personnelle.

Identité, mon identité. Que suis-je ?

Je suis moi, unique, secret avec mes joies et mes peines, les raisons de l’investissement de mon temps, de mon énergie, de ma loyauté à des gens, des activités et des causes, de mes rêves et de ceux auxquels j’ai renoncés. Rien de très national là-dedans !

Je suis aussi un mari, un père, j’ai été un fils, je suis un homme de mon entreprise, je suis un chrétien. C’est mon jardin privé, je n’ai pas envie de parler de tout cela dans un débat public. Pas avec M. Besson en tout cas. Mais c’est certainement le cœur de mon identité. Dans ma vie professionnelle, je déclare à tout bout de champ, I am JPB from ArcelorMittal. Dans ma vie publique et familiale, je me définis comme le mari de ma femme, qui, elle, porte mon nom, échange.

Si je pense géographie et culture, que dis-je, vraiment, spontanément ?

Je suis le père de deux enfants, qui sont citoyens américains et français. C’est assez fascinant d’avoir engendré deux américains, moi le parisien, c’est beaucoup plus fort que la biologie, que le mélange des gènes !! C’est aussi un peu hors sujet, un peu dérisoire ? Non qu’il soit plus dérisoire d’être américain que d’être français, mais cela est une réalité d’une autre nature que le grand mystère de la perpétration de la vie, de l’espèce.

Je viens de me définir comme parisien, pourquoi n’ai-je pas dit creusois, comme cela m’arrive souvent de le faire, ou lorrain ? Je suis ces trois choses en même temps, je détiens ces trois passeports. Des passeports qui n’existent que dans ma tête d’ailleurs.

La Région me paraît une vraie source d’identification et d'identité. C’est à cette échelle que les relations sont humaines et simples. On y parle des vrais sujets qui font la vraie vie, on y partage des objectifs, des envies, des solidarités, des valeurs peut-être, si ce mot n’est pas trop galvaudé. On y échange de la gratuité. Il y a beaucoup de non-dit entre les différents acteurs, qui n’existent pas aussi fortement dans une entreprise, surtout si elle est mondiale, ni au niveau national où le pouvoir a été confisqué par des surdoués qui ont utilisé la démocratie pour le conquérir, mais pas pour la mettre en œuvre et m’y représenter à un niveau qui fasse sens pour moi ; surdoués, çà se discute, car l’intelligence n’est pas que le QI habituel. Besson en a certainement un trop plein, mais son intelligence émotionnelle est proche de l’autisme.

Je suis aussi européen. Je dirige un programme européen, un des plus gros qui existe en R&D de mon domaine d’expertise. On s’y rencontre, on y dialogue, on y travaille ensemble, on mange ensemble, on rit ensemble. Comme des européens, qu’on soit suédois, français, anglais écossais, autrichiens, hollandais, norvégiens, italiens, belges, grecs, finnois, allemands, espagnols… Efficace, intense, agréable dans l’effort et dans la qualité des échanges intellectuels. Avec beaucoup de respect mutuel.

We, in Europe, me suis-je entendu dire avec étonnement il y une trentaine d’année sur un podium en Corée et, depuis, c’est devenu pour moi une déclaration naturelle, réflexe.

Je suis aussi français.

Je parle français aussi bien que d’autres langues. J’aime parler français à Montréal, mais aussi à Londres, ce qui m’est arrivé il n’y a pas longtemps dans une réunion ds syndicats européens. Avec mes compatriotes, c’est en français que l’échange peut descendre au niveau de subtilité que les vrais échanges exigent, mais avec des Américains ou des Anglais c’est en Anglais que j’y parviens.

Je suis moins ce que j'ai été, que ce que je suis et que je construis, que je serai. Même à 62 ans, je suis en devenir et c'est cela mon identité, un flux, quelque chose qui n'existe pas encore complètement. Quad cela cessera d'être, je serai bon à ranger dans les bibiothèque, une nature morte bonne pour le cimetière.

Evidemment, je n'ai parlé que de mon identité, pas de l'identité nationale.

L'identité nationale existe-t-elle au-delà de celle que perçoit chacun d'entre nous ? Y-a-t-il une colline inspirée qui transcende les êtres et y concentre cette essence-là ? Probablement, j'en ai moi même parlé à satiété dans mes cours "d'interculturel", mais cette colline n'est pas seule, c'est une chaine de montagnes où les collines se juxtaposent. La colline française n'existe que parce que les autres collines existent, la chevauchent ou la dominent et parce que je parcours, nous parcourons tous toutes ces collines. Comment en isoler une seule ?

Et, au risque de me répéter, ce n'est pas tant le passé, la trace temporelle de ces collines dans l'histoire qui est importante, c'est celle que je vis et qui me sert de vaisseau sur le fleuve du temps, celui de l'histoire à venir, à construire...

Dans ce domaine, ce qui me parait le plus important, aujourd'hui et pour longtemps, c'est ma planète - ma vraie identité nationale. Mieux qu'une colline, non ? Une planète qui va emporter mes enfants, mes petits enfants, les générations futures comme disent les écolos désincarnés, vers un avenir que nous leur avons déjà en partie volé. La crise économique a une analogie physique et pas du tout virtuelle, dans laquelle l'humanité vit à crédit sur l'avenir, avec une empreinte planétaire plus grande que la planète et une année planétaire qui s'arrête en septembre, mois après lequel on vit de temps à venir.

Et, au lieu de s'y préparer, de prendre des mesures nécessaires et même complètement indispensables, on disserte pour savoir si une coquille dans le dernier rapport paru du GIEC* ne discrédite pas les 2000 autres pages.

Dans les années 50, aux Etats-Unis, on faisait faire aux enfants des écoles des exercices de survie, en cas d'attaque atomique: ils devaient apprendre à plonger sous leurs tables de classe et mon épouse, 50 ans après, le ressent encore comme un traumatisme, une angoisse profonde que l'état a enfoui dans l'inconscient de ses citoyens. Aujourd'hui, nous nous précipitons vers des catastrophes dont on n'a pas encore pris la mesure et on ne s'y prépare pas, même pas en apprenant à plonger sous les tables. Ce qui attend la planète entière, c'est le désastre qu'on a contemplé le coeur gros, mais les fesses bien au chaud dans les fauteuils de cuir de nos salons, en Haïti, si loin de nous.

Mon identité nationale, c'est Gaïa, et j'aimerais bien qu'elle garde une niche écologique pour les générations futures... celles des hommes bien sûr ! **

* la coquille sur la disparition des glaciers de l'Himalaya avant 2050... 3 pages de polémique sur ce sujet dans le Monde du 14 février, comme si ce journal équilibré avait eu son coup de folie et était entré dans le relativisme débridé, celui où tous les discours ont la même valeur, la même importance, la même charge de vérité !
** L’humanité disparaîtra, bon débarras… Yves Paccalet, Arthaud, 2006