mercredi 21 avril 2010

Recadrage

C'est assez lunaire ce qui se passe dans l'actualité.

D'un côté, un volcan islandais a paralysé le transport aérien pendant 5 jours. Pour des raisons pas très claires, en tout cas pas très bien expliquées par la presse, l'espace aérien européen a été complètement fermé. A quelques aéroports près, comme celui d'Auxerre, qui avait dû être oublié pendant quelques jours par les régulateurs - un préfet parti en vacances par exemple.

De l'autre, "tout le monde" s'interroge, comment est-ce possible, en 2010, avec toute notre technologie, etc. "Que fait donc le gouvernement", etc. encore. La radio et la télévision ont mis quelques temps à s'organiser pour proposer des clés de compréhension. Ils ont organisé tout de suite des émissions dédiées à cela, mais la clarté a mis plus de temps à se faire... D'abord on a parlé des Français les français expatriés - pour des vacances ? - qui ne peuvent pas rentrer en avion et "galèrent" au bout du monde. On ne sait d'ailleurs pas si ils sont 50.000 ou 150.000, un détail, les chiffres sont difficiles à gérer dans la communication classique. On se fiche pas mal aussi des non-français et on diffuse des micro-trottoirs où les gens sont vraiment choqués d'être perdu au bout du monde, de devoir payer des hôtels et des restaurants, et que personne ne leur explique rien... Ensuite on a convoqué des experts pour leur faire expliquer en un quart d'heure, une heure parfois, pourquoi et comment, à propos des volcans, de la météo, des avions, des réacteurs qui s'arrêtent – bloqués par de la poussière ou de la silice qui fond on ne sait pas trop, des risques pour la santé, des risques, des risques, que personne n'arrive semble-t-il à évaluer, à appréhender, à définir. Des gens plus sensés que d'autres se demandent d'ailleurs si la notion de risque a un sens dans ce cas ?

Des risques, des responsables, des gens qui les acceptent ou les refusent, selon ce qui les arrangent, un ministre - Kouchner, pas moins ! - qui déclare qu'on ne peut pas se permettre de prendre le moindre risque. Et hop, on reparle du principe de précaution !

Cela fait suite à cet épisode sordide où une grande marée a piégé 50 personnes dans des maisons inondées en France - oui en France, au 21è siècle, etc. voir plus haut ! - et ils y sont morts. Court débat sur le risque, encore lui. Le gouvernement, qui doit résoudre tous les problèmes c'est bien connu, décide donc de rappeler les maisons construites là où il ne fallait pas, un peu comme

Toyota rappelle des voitures qui ne freinent pas. Et les propriétaires (une catégorie globale citée par la presse sans qu'on sache bien de qui il s'agit) de hurler au nom de leur liberté de construire là où ils veulent.

En gros tout le monde dit tout et n'importe quoi, du citoyen au ministre, avec la part du roi aux journalistes, si persuadés qu'ils doivent informer vite et tout le temps, qu'ils diffusent une pensée de moineaux à leurs auditeurs. Comparaison peut-être injuste pour les moineaux !

5 jours après, on commence tout juste à entendre que le volcan émet ses cendres par bouffées, donc pas de dispersion continue d'un panache, mais de petits nuages qui se succèdent, comme des bulles de fumée sortant de la bouche d'un drogué de la cigarette. Que la taille et la concentration des poussières varie, que celles qui voyagent loin sont microniques (1 µm ou 0,1 µm ???), qu'on n'a pas vraiment d'outils pour mesurer les concentrations de si petites particules - ce qui n'est pas exact dans l'absolu, beaucoup de labos sont équipés, mais cela demanderait sûrement pas mal de travail pour passer à une échelle convenable - le nuage ayant été dispersé sur toute l'Europe au nord des péninsules méditerranéennes. On nous a même montré une carte du nuage, ombré en concentrations, sur le IHT d'aujourd'hui...! C'est presque de la science !

Donc, la vérité, c'est qu'on ignore beaucoup de choses et qu'il faut un certain temps pour mobiliser ce que l'on sait, créer de nouvelles connaissances et transformer le tout en réactions, décisions, plan d'action. Dans le cas de l'épidémie de la vache folle, il a fallu 2 ou 3 ans pour reconstituer la chaine des causes, imaginer des parades et mettre en place des mesures qui ont effectivement fait disparaître le problème, sans que le tiers de la population britannique de meure de Kreuzfeld Jakob.

Le scandale n'est pas tant que l'on ne peut pas fabriquer des réponses à des questions très difficiles en quelques heures, mais que "les gens" pensent que c'est possible, que ce devrait être possible. Les gens, à nouveau, on ne sait pas trop qui c'est, car c'est le discours débilitant qui coule des radios en continu qui leur donne la parole. Je les soupçonne de répondre aux questions qu'on leur pose, pas de réfléchir devant un micro… D'ailleurs qui peut réfléchir sur l'étendue de ce qu'on ne sait pas en quelques secondes de prise de parole ?

L'autre scandale, c'est qu'on vit en flux tendu, comme Toyota. On part en vacances au bout du monde, 10.000 km, pendant 5 jours et 6 nuits, et tout est minuté pour revenir quelques heures avant la reprise du travail. Ou on va en réunion à Tokyo, pour 24 heures, avant une autre réunion à Paris et avant de remonter dans un avion pour le Brésil. Tout cela rythmé par la musique qui coule dans les écouteurs d'un iPod, les dizaines de méls qui tombent chaque jour… Si un avion manque, on prend le suivant, si deux avions manquent, si trois avions manquent, etc. , c'est un problème de logistique au niveau mondial, une espèce d'embouteillage comme ceux qui congestionne les autoroutes urbaines tous les soirs et tous les matins, mais mutatis mutandis.

Ce n'est d'ailleurs que l'écume des choses, les loisirs, car les objets qui voyagent aux quatre coins du monde ne le peuvent plus et d'autres chaînes logistiques se bloquent. L'instantanéité va de pair avec la mondialisation, qui va de pair avec le fait que les consommateurs ont pris l'habitude de payer le moins cher possible, ce qui se traduit par beaucoup de transports et de voyages, car les gradients de coûts de revient sont immenses dans le monde. Plus de transports aériens (aujourd'hui), ou plus de crédits (hier, la crise de 2008) et tout se bloque.

Les grosses machines, quand elles s'arrêtent, sont difficiles à redémarrer. Cela prend du temps, des années dans le cas de la crise.

Le scandale suivant est que les gens vers lesquels on se tourne pour "décider", "faire quelque chose", ne sont pas en capacité de le faire et n'en conviennent pas. Si je décide, alors que je ne sais pas, je suis dans une situation absurde. Mais Kouchner a-t-il reconnu qu'il était dans une situation absurde ? Les journalistes disent-ils qu'ils ne comprennent rien à ce qui se passe ? Les experts refusent-ils de répondre aux questions qu'on leur pose et insistent-ils pour les reformuler plus raisonnablement ? Non, non, non, et non !

Il y a quand même le fameux principe de précaution, qui dit que si on a le moindre doute, il faut tout arrêter. Un principe de droit international, qui n'en est d'ailleurs pas un, une logique qui permet de "communiquer" quand la bonne logique, l'honnête logique serait de dire qu'on ne sait pas. Le principe ne dit pas de tout arrêter, mais de s'abstenir. Si on s'abstient, dans nos systèmes si complexes, si tendus, si globaux, cela revient souvent à arrêter beaucoup de choses, donc à agir au-delà de ce qu'on comprend et qu'on veut réguler.

Le vrai principe de précaution, ce n'est pas d'agir à chaud, n'importe comment, c'est de se préparer à l'incident, d'anticiper avec des plans de prévention, des recherches conduites assez tôt, une culture du risque qui soit travaillée et acceptée. Les gens acceptent le risque quand ils montent sur leurs motos, quand ils mettent leurs gosses dans une voiture pour partir la nuit en vacances, quand ils construisent des immeubles de grande hauteur accrochés à des harnais (ou pas !), etc.

On n'est pas obligé de devenir des couards ou des froussards pusillanimes, incapables de gérer les problèmes, assez mineurs quand même, qui troublent la régularité et la célérité de notre fuite en avant! Il suffit de penser que nous autres, civilisations, sommes mortelles, comme les hommes et les femmes le sont. Et avant de mourir on tombe souvent malade et cela se traite la plupart du temps avant une issue fatale!