dimanche 27 mai 2012

Où est l'Europe ?


L'Europe aujourd'hui,  en termes de PIB et de richesse par habitant, c'est le plus gros ensemble d'états organisés autour d'institutions très structurées dans le monde. On pourrait presque dire que c'est le plus grand pays du monde !

C'est aussi un ensemble créé par l'histoire, qui a dominé le monde pendant 20 siècles mais qui en a perdu le contrôle, laissant ses "rivaux" actuels naître de sa politique internationale passée, celle des états et celle de la machine économique qu'elle a enfantée.

L'Union européenne dont on parle ici c'est aussi une reconstruction du continent que les 3 guerres mondiales avait complètement déconstruit, au sens physique du terme de quasiment détruit, autour de valeurs généreuses et progressistes, contre la guerre et en faveur de la coopération.  Le postulat était que cette vision du monde était la meilleure façon de guider ce grand ensemble vers une prospérité globale et d'éloigner les démons qui menaçaient d'engloutir le continent dans la ruine définitive, comme l'escalade des morts dans les guerres successives et l'arrivée des armes de destruction massive pouvaient le laisser craindre. Il y avait aussi le constat que les Etats Unis, enfants de l'Europe, étaient passés à l'âge adulte et demandaient à jouer le rôle d'une puissance impériale, un habit que les européens avaient enfilé au cours des siècles, mais qu'ils avaient désappris à porter.  Il y avait donc le pari que l'Europe pouvait jouer un rôle, dont le contenu serait à inventer, autre que d'être l'imperator du monde.

L'empreinte de l'Europe sur le monde est présente partout.

D'abord dans la carte des états qui structurent la vie internationale et l'organisation des espaces où ceux-ci exercent leur souveraineté. C'est un modèle qui est issu de celui de l'Empire romain, une des sources les plus fortes de l'Europe. L'histoire de l'Europe a été celle de la construction de ces états, dans un univers fluide de peuples et d'ethnies en mouvement qui se sont déplacés sur tout le continent, de l'est vers l'ouest puis vers le sud, dont le flot s'est peu à peu figé et a conduit à ces multiples et étonnants (au sens de la recherche !) melting pots, qui ont conduits aux populations modernes qui se nomment françaises, anglaises, allemandes ou italiennes.  La construction s'est faite à la dure, donc à la guerre, à la rapine et aux massacres, autour d'ensembles qui paraissent cohérents aujourd'hui mais qui ont opposé des groupes rassemblés par des familles fortes, se combattant jusqu'à ce que des lignes de démarcation qu'on appelle aujourd'hui des frontières se mettent en place.  L'Eglise et le Christianisme ont joué un rôle d'institution supranationale, pré-existante à celle des nations, pour apporter un fil rouge à ces guerres permanentes.  Les musulmans du sud est et les "barbares" de l'est ont aussi aidé l'Europe assiégée à se vouloir ce qu'elle a fini par devenir au cours des siècles, essentiellement pendant le Moyen Age, mais aussi pendant l'ère moderne puisque la confrontation avec l'Empire ottoman ne s'est achevée qu'avec la première guerre mondiale.

Le résultat final de ce chaos historique brassé par plus d'une dizaine de siècles d'expérimentation in vivo, si l'on peut dire, a conduit aux cartes politiques de l'Europe - pourtant si volatiles y compris tout le long du XXè siècle.  C'est ce schéma d'organisation de l'espace géopolitique que l'Europe a imposé au reste du monde, comme méthode pour y apporter la civilisation, si l'on reprend le vocabulaire de la colonisation, cette autre invention européenne (issue de l'histoire de la Grèce antique ?).  C'est aussi la norme adoptée par les organisations internationales, dans notre univers moderne post colonial.  C'est autour de ces règles "qui vont de soi" qu'est née une grande part des conflits des 70 dernières années dans le monde entier, pour peu que des intérêts économiques à portée mondiale aient aidé à en amplifier la magnitude.

Donc cette Europe, qui s'est racheté une conduite après une deuxième (troisième) guerre mondiale qui devra être la der des der, se cherche un avenir face à l'Amérique du Nord, à la Chine et à d'autres émergents.  L'Union européenne en est la réponse.  Cette union, construite d'abord autour d'une vision prophétique de l'avenir - mais dont les racines s'éloignent dans le passé de l'histoire, s'est organisée autour du boum de la consommation qui a constitué le moteur des 30 glorieuses.  Le bonheur et la modernité s'identifiaient avec la voiture, les machines électroménagères à libérer la femme, l'école longue pour tous, la santé protégée par des sytèmes pilotés par l'état, une protection de la maternité et de la petite enfance, etc.

Pendant ce temps, les modes de vie européens, largement recodifiés et amplifiés aux Etats Unis, se répandaient sur la planète entière dont la démographie explosait grâce à la montée de l'hygiène et au commerce international des médicaments.  D'où la montée de la Chine et de l'Inde, qui ont repris au XXIè siècle la place que ces ensembles culturels anciens et forts avaient avant l'envolée solitaire de l'Europe: ne pas oublier que vers l'an 100, Rome et Pékin étaient les deux plus grandes villes du monde,  autour d'un million d'habitants.

De digressions en commentaires, je suis arrivé bien loin de mon propos initial, où je voulais expliquer que l'Europe actuelle est le résultat d'une construction historique complexe, qui ne se résume pas aux 5 ou dix dernières années, pendant lesquelles les grecs et autres récents ouvriers de la vigne européenne se sont enrichis rapidement et sans efforts, pendant que les plus anciens travaillaient et engrangeaient des réserves que les "autres" dilapidaient.

On pense à la cigale et la fourmi, discours que tient aujourd'hui l'Allemagne, même si la fable est très française, mais on pense aussi aux paraboles des ouvriers de la vigne, qui sont parmi les messages les plus intéressants et les plus profonds des évangiles. Dans cette vigne symbolique, on n'est pas récompensé par Dieu selon ce qu'on a produit au cours du temps, qui aurait été enregistré de façon précise et comptable avec soin et exhaustivité, mais selon des valeurs plus spontanéistes (ce qui vient du coeur) et plus proches de ce dont a un besoin (la vision "socialiste" de ces pages).  Je ne nourris pas mes enfants pour ce qu'ils ont fait - les très petits, ils n'ont encore rien fait ! -, mais pour ce qu'ils sont pour moi et ce qu'ils seront au monde, un jour, sûrement.

La vision morale de l'économie à l'allemande, de fait selon la vision portée par la coalition Merkel de droite, est une erreur intellectuelle et historique et une approche idéologique et partisane.  Pour une multitude de raisons.

Parce que la relance par la rigueur, ça ne marche pas, comme l'histoire de toutes les crises économiques l'a montré et comme le trou dans lequel se débat l'Europe aujourd'hui le montre. Le porteur des récits les plus clairs là-dessus est Paul Krugmann et ses éditos dans le NYT et l'IHT.  The confidence fairy does not exist!  C'est aussi l'histoire de l'âne de Buridan, mutatis mutandis...

Et aussi parce que la prospérité actuelle de l'Allemagne, qui semble lui donner le droit de donner des leçons aux autres européens, est le reflet des versements du reste de l'Europe à l'Allemagne, dans les dix dernières et années et aussi, plus en amont, au moment de la réunification.  

L'épisode le plus récent constitue une mutualisation des effets bénéfiques de l'existence de l'Europe, pendant laquelle l'argent mis à dispositions des plus pauvres leur a permis d'acheter à ceux qui savaient produire ce dont ils avaient besoin et envie : les grecs achetant aux allemands. Une espèce de relance keynésienne, liée à la taille  de l'Europe et à au gradient de développement et de richesse de ses régions (états membres).  

Relire les édito de Krugmann : death of a fairy tale (http://www.nytimes.com/2012/04/27/opinion/krugman-death-of-a-fairy-tale.html) et those revolting Europeans (http://www.nytimes.com/2012/05/07/opinion/krugman-those-revolting-europeans.html).  C'est bien documenté et on en parle largement dans la presse, bien que la survie de points de vue opposés me laisse naïvement perplexe !

La réunification de l'Allemagne, décidée par Helmut Kohl sans consulter personne en dehors de son pays, a aussi couté cher à l'Europe. L'Europe dont l'Allemagne, mais pas seulement l'Allemagne.  Plusieurs points de croissance (2 ?) pendant plusieurs années (10 ans ou plus ?). Historiquement, je pense que Kohl a pris la bonne décision et qu'il l'a prise aussi vite qu'il fallait le faire. Mais ses successeurs ne doivent pas oublier que tout le monde a payé de ses deniers, y compris de ceux qui ne se sont jamais concrétisés, à travers tout le continent (et probablement au delà).

La prospérité actuelle de l'Allemagne résulte de ce bon fonctionnement des mécanismes européens, pas uniquement de la rigueur et la souffrance du peuple allemand au cours de ces dernières années.  

L'Allemagne devrait donc abandonner ses discours moralisateurs et passer à la suite, à l'avenir, et renvoyer l'ascenseur. Cela s'appelle eurobonds, relance rapide de la croissance et  sauvetage de la Grèce par son maintien dans la zone euro.















samedi 5 mai 2012

Pourquoi je vais voter pour François Hollande...

J'avais donné une liste de 100 raisons pour ne pas voter Sarkozy, il y a 5 ans. Ça n'a pas suffi à mettre Mme Royal en position de gagner, car les blogs n'avaient pas autant de pouvoir à cette époque lointaine !

Cette année, pas besoin de faire du chiffre, car je n'ai pas l'impression de me battre contre la marée.

Je vais donc voter pour FH, parce que :

1. J'aimerais bien que mes petits enfants grandissent dans un pays apaisé, où les locataires de l'espace national ne se battent pas dans une guerre civile larvée et où on prenne le temps de vivre avec son temps, donc avec ses dynamiques et ses dangers. La droite avait fermé le paysage politique français dans un univers national, où tout ce qui était différent faisait peur : le monde change, nous changeons avec lui et rien ne sert d'encourager ceux se cela effraie.

C'est important pour des gosses de vivre dans l'ouverture, la confiance, la curiosité, de façon qu'à leur tour ils sachent comment faire pour répondre aux défits qui seront les leurs quand leur génération sera aux manettes.

2. L'alternance, c'est une bonne chose qui reste suffisamment rare sur la planète, comme mon chauffeur de taxi d'origine algérienne me le faisait remarquer il y a deux semaines à Montréal, pour qu'on s'en délecte. Mais ce n'est la raison de voter pour FH ou contre NS. L'alternance, c'est une des composantes de la démocratie, mais pas un balancier selon lequel on change de crémerie à chaque élection, comme les entreprises changent d'agence de voyage ou de service de nettoyage : le dire, comme on l'entend beaucoup, c'est considérer la politique comme un jeu vain et les politiciens comme des pions interchangeables, tous médiocres sinon tous pourris.

3. La France est une nation qui vit dans l'histoire, c'est-à-dire dans un passé réécrit dans une narratologie très particulière, celle d'une reconstruction nationaliste de l'identité nationale, dont on a bourré l'esprit des élèves à l'école et dans la vie quotidienne, la presse par exemple. C'est un peu court, mais ce n'est qu'un propos parmi d'autres. Les français, donc, vivent avec des mythes comme Vercingétorix ou Jeanne d'Arc, et avec le souvenir de splendeurs passées, dont on a oublié les aspérités ou les crimes : Louis XIV, Napoléon Ier, etc.

Une des dérives de cette vision du monde, le monde à la française, est que cette grandeur particulière, ce destin universel du pays reste l'objectif premier de la politique nationale : ça donne des flamboiements anecdotiques comme le discours de Villepin à l'ONU, mais la plupart du temps un pilotage hors des règles du monde, comme les 12 années de présidence de Chirac, un exercice de sur-place assez hallucinant. !

La gauche n'échappe pas complètement à ce fantasme et y ajoute les siens, au hasard Jean Jaurès, mais elle s'est revelé de fait beaucoup plus réaliste et pragmatique que le doite et c'est elle qui a fait progresser le pays au cours des 70 dernières années : le front populaire, la présence de la gauche dans le gouvernement de de Gaulle, le gouvernement de Mendès France, mai 68 (où la gauche, issue des racines et des pavés a influé par des mouvements de rue à caractère révolutionnaire), Mitterrand et Jospin.

La compétence et la pertinence à été du côté de la gauche, la droite se laissant aller à refuser l'évidence, à retarder les prises de décision, à attendre ou à nier tout en flattant les pleureuses. C'est le contraire de ce qui s'est dit au cours de la campagne.

4. La gauche, c'est aussi l'écoute de l'autre, un peu plus de coeur, un peu moins d'égoïsme, une volonté d'être équitable, de penser aux pauvres, aux défavorisés. D'une certaine manière, ceux qui croient à une morale, pourquoi pas basée sur la bible, devraient s'y retrouver.

On y trouve aussi cette idée que les gens ne sont pas seuls dans la société, que leur réussite est celle d'un groupe, d'une écologie sociale. Cela aussi n'est pas dit souvent à droite, voir ces discours sur le vrai travail ("le travail de ceux qui n'ont jamais rien demandé à personne", NS), comme si le self made man s'était construit dans un vide sidéral.

Ces valeurs n'appartiennent pas qu'à la gauche, dieu merci, et elles ne sont pas présentes dans les discours de toutes les gauches, mais c'est quand même là qu'on l'entend parler le plus fort.

Mince, 4 raisons seulement de voter FH, pas 100.

On pourrait en ajouter quelques autres... L'homme lui même est attirant, intellectuellement, il explique, il a l'air de croire que la raison doit sous-tendre ce qu'il dit et que quelques principes doivent soutenir l'action, suffisamment larges dans l'espace, le temps, le respect des autres et la générosité.

 Ça me paraît suffisant !

JP

 Le 5 mai 21012, la veille d'un scrutin modestement historique, dans le microscope français.