samedi 14 juillet 2012

ET SI ON PARLAIT DE CHIFFRES ?



Alors que 85% d'une génération arrive au niveau bac, une mesure du recul définitif de l'illettrisme, il faudrait commencer à faire la guerre à l'innumérisme et aider ainsi chacun à développer une vraie pensée critique. Celle-ci demande de se construire une vision chiffrée du monde !


Il s'agit ici de mettre un peu de clarté dans le débat actuel sur PSA et son plan de réduction d'emplois. Parce quelques chiffres vont rapidement montrer qu'il ne s'agit pas seulement d'emplois ni seulement de PSA. Si je me fais une entorse en mettant le pied dans un trou de la route, ce n'est pas simplement parce que je ne suis pas assez vigilant, mais parce qu'il y a un nid de poule dans cette route !!!


In principio, l'économie va mal, très mal. Un chiffre assez fort : la production d'acier en Europe est tombée de 25% depuis 2008. Une telle chute, cela ne relève pas d'un évènement conjoncturel ni des bavardages des commentateurs de télévision, mais d'une crise majeure, durable, qui s'apparente à une guerre en termes d'impact et d'ampleur. L'acier vendu en Europe l'est à hauteur de 40% à l'industrie automobile, et il y a donc un rapport direct entre le problème de la sidérurgie et une forte dépression de l'industrie automobile. 


Ne remontons pas au déluge pour parler des causes de cette crise économique, on l'a déjà fait dans ce blog. Restons sur l'automobile.


Il y a dans le monde 1 milliard d'automobiles, soit presque qu'une voiture par habitant dans les pays où le niveau de vie est assez élevé pour que les gens puissent se les offrir. Toutes ces voitures ne peuvent pas circuler en même temps, pas assez de surface de route ni de places de stationnement. Il faut aussi que les gens fassent d'autres choses que de se déplacer, etc. Néanmoins, les routes sont surchargées presque partout en zones urbaines ou quasi urbaines, comme la totalité du territoire néerlandais, et les utilisateurs d'autos  le vivent au quotidien. Les nouvelles générations ont donc naturellement fait évoluer leurs "valeurs" au-delà de la possession d'une automobile et pour la première fois dans l'histoire moderne, l'appétence pour les voitures diminue. En Europe, à Beijing, etc.


Par ailleurs, le nombre de constructeurs automobiles est trop élevé et la plupart ne créent pas de valeur de façon durable. Comme cela a été le cas, mutatis mutandis, dans la sidérurgie après les crises dites pétrolières et jusqu'au début des années 1990. Les plus brillants s'en sortent à peu près, comme Volkswagen en ce moment ou Toyota, mais les plus fragiles sont en grande difficulté, PSA pour commencer, hic et nunc. Mais rappelons nous la faillite intégrale de Detroit il y a 4 ans, les difficultés concomitantes de Toyota, etc. 


En résumé, il y a une offre excessive d'automobiles dans un marché très, très déprimé. La crise va conduire à détruire les faibles et ne conservera que les forts pour continuer à un niveau d'offre plus en conformité avec la demande hors crise.  Evidemment, cela ne sera ni blanc, ni noir, surtout si certains états entrent dans le jeu et "sauvent" l'industrie automobile, comme cela a été fait aux Etats Unis ou pour la sidérurgie en Europe. 


La bulle de l'automobile, donc...


Le développement de l'automobile ne répond pas tant à la satisfaction d'un droit à la mobilité qu'il ne traduit l'abondance de pétrole, d'essence, accessoirement de diesel, sans oublier le kérosène, des avions. Comme le pétrole a très probablement passé son pic, on s'achemine vers la fin d'un paradigme, la fin d'un Kondratief: fin du pétrole et fin de l'automobile - à terme. Ni les piles à combustible, ni les voitures électriques ne renouvèleront le "miracle " lié au pétrole. 


Tout ceci étant dit, si PSA est en train de plonger, c'est à cause de PSA, comme le dit sans grande imagination un récent édito du Monde. Quel a été l'erreur de management de ce groupe ? Un manque de vision géopolitique, c'est évident, une passion pour les solutions maisons, différentes de celles des autres, des décisions prises dans une famille fermée sur elle même - mais des groupes familiaux semblent encore réussir dans d'autres secteurs, voir Loréal ou ArcelorMittal, etc. 


Ces erreurs sont-elles une nécessaire condamnation à mort de PSA ? Sûrement pas, mais ce ne sont ni les édito du Monde ou de BFM TV, ni le ministre du redressement économique qui ont les clés pour éviter le désastre. 


Ce qu'il faut, c'est plus d'intelligence collective dans la société, je vous laisse imaginer ce que cela peut vouloir dire en détail.



dimanche 1 juillet 2012

Pour la défense de Jean-Louis Beffa....

... qui n'en a probablement pas besoin. Mais nous avons collectivement réagi en direct à ses propos relatifs à ULCOS (voir par exemple http://quodusquetandem.blogspot.fr/2012/06/lacier-est-il-ringard.html), alors que son message est beaucoup plus large et plus intéressant. Il le développe ou l'encourage dans le centre Cournot (http://www.centrecournot.org/), dont il est co-président, et dans son dernier livre, "la France doit choisir" (Seuil), qui a reçu une forte couverture médiatique.

Mais qui a écouté ce qu'il avait à dire ?

Ce qu'il dit se résume en quelques phrases :

1. l'état doit conserver un droit de regard dans l'économie du pays et y développer une stratégie de long terme (= une stratégie industrielle) par tout moyen "moderne" à disposition (il ne préconise pas le retour au Gosplan !).

2. l'industrie joue un rôle-clé dans l'économie, et doit donc être préservée sur le long terme, encore une fois avec des politiques subtiles, adaptées et durables, c'est-à-dire conduites sur la durée.

3. ce nouveau colbertisme s'oppose au "modèle libéral financier" (sic), qui a conduit au recul de la place de l'industrie en France, laissé ce qui reste de l'industrie entre les mains de financiers, dont la famille Mittal est un parfait exemple, en laissant faire par ailleurs, donc dans le tertiaire qui se développe beaucoup mais a créé un pays hydrocéphale !

4. l'exemple des "bonnes politiques" est donné par l'Allemagne. Qui, malgré des salaires allemands, tient tête à la Chine du fait de la qualité et l'image d'excellence de ses produits.

En plus résumé encore, la mondialisation ne peut conduire à une répartition des activités économiques à l'échelle mondiale, avec une Asie industrielle et une Europe qui ne sait plus innover et croître. Il faut laisser ne art à l'industrie, mais une industrie compétitive et innovante, que les états se doivent d'aider de multiples façons, mais certainement à seule fin de préserver l'emploi.

Qui serait contre ces bonnes idées  et cette analyse subtile de ce qui fonctionne en Europe et de ce qui ne fonctionne pas ?  Qui refuserait de placer le débat à un niveau assez élevé pour dépasser les conflits entre pays de l'Europe et affronter l'avenir ?

De fait, il y aurait beaucoup à dire pour dépasser aussi le discours de Beffa, tel qu'il est exprimé dans ses propos récents.

Rappeler, par exemple, que l'économie a d'abord pour mission de créer du bien-être pour les populations, les peuples (?) qu'ils abritent - je n'ai rien vu d'ailleurs dans Beffa, qui dise le contraire.

Rappeler aussi que l'Europe est le plus grand ensemble économique mondial en terme de création de richesse (PIB en US$ ou PIB en PPP), devant les États Unis, la Chine, etc. C'est sa désunion ou son insistance pour être présentée comme une collection d'états séparés qui fait que cette réalité est la plupart du temps occultée. Donc raisonner au niveau de l'Europe, pas seulement de la France ou de l'Allemagne.

Rappeler enfin que la menace la plus grave c'est le changement climatique, qui va redéfinir les priorités de l'économie et de la politique, surtout si on persiste à ne pas agir pour le contrer, à supposer qu'il en soit encore temps.  Et mettre à mal la mondialisation en tant que principe organisateur de l'économie, tout simplement parce que la logistique ne suivra pas pour cause de météo hyper-instable et de conflits géopolitiques majeures entre les pays dévastés et les autres qui le seront moins...

Si on ferme la boucle de l'argument en revenant à ULCOS et à l'acier. On va toujours avoir besoin d'acier, qu'il devra être disponible localement (à l'échelle au plus européenne, pour ce qui est de l'Europe), et qui va servir à réinventer les technologies robustes qui permettront de survivre tant bien que mal au changement climatique.  Et ULCOS, c'est aussi une contribution majeure à la lutte contre le changement climatique, la transformation de la sidérurgie en industrie verte, etc. Ça peut bien entendu casser le modèle des usines en bord de mer, qui date des années 1960, en redistribuant les cartes autour des défis modernes. Donc donner un avenir à Florange. Mais ULCOS c'est beaucoup plus que cela !

Enfin, le problème de Florange, c'est aussi le résultat de la vision myope et court termiste du modèle libéral financier. La production d'acier en Europe a baissé de 50 millions de tonnes entre 2008 et 2011, ce qui se traduit, n'est-ce pas évident, par des surcapacités énormes, donc des usines à arrêter. Il y en avait au moins deux en 2008 au niveau de toute l'Europe, donc beaucoup plus aujourd'hui. Donc Florange n'a aucun avenir et il serait irresponsable de redémarrer ses hauts fourneaux : mieux vaut y sauver les meubles, donc l'usine à froid ou même le laminoir à chaud, comme un "cadre" anonyme d'ArcelorMittal l’explique à la livraison hebdomadaire de la Semaine (www.lasemaine.fr).

Désolé, mais ce raisonnement prend l'eau de toutes parts ! La chute de production de 30% reflète la persistance de la crise de 2008/2009, pas une tendance lourde pour l'Europe.  Maintenir les fermetures d'usines, c'est s'enraciner dans cette crise, pas en sortir... sauf en fuyant ! Décider que Florange est l'usine à fermer ou à maintenir fermer, c'est aussi une démarche en apparence fondée sur l'analyse sobre des prix de revient des différents sites d'ArcelorMittal, mais de fait une vision à très court terme, pilotée par des gens qui privilégient d'autres sites et par un direction qui n'a plus les moyens financiers de poser le problème sur le marché européen dans son ensemble. Il y a besoin là d'une analyse critique contradictoire...