mercredi 15 juillet 2015

La Grèce et l'Europe


(rédigé dans la nuit du 13 au 14/07/2015. Le 13 juillet au matin, après une soirée et une nuit de négociations à Bruxelles au niveau des chefs d'état, un accord a été trouvé dans la zone Euro pour y maintenir la Grèce en lui apportant de nouveaux financements de... 80 G€)

Curieux les commentaires qui suivent cet accord. Les gens qui s'expriment en public ont perdu leurs repères et se contredisent, d'une semaine a l'autre, et on a peine à y retrouver les pensées de gauche ou de droite.

Pour traiter ce sujet d'entrée et le laisser derrière nous, la droite française a fait fort ! Sarko a changé trois fois d'avis en trois jours, avec une constante liée à "je tape sur Hollande" et "comment a-t-il pu oser ne pas dire exactement la même chose que Merkel" ? Les autres leaders de l'UMP ont pris partie pour le Grexit, ce qui parait un poil décalé par rapport à la réalité de 3 jours plus tard. Quant aux gens de gauche, ils ne disent pas grand chose - pas plus mal, non ?- probablement un peu perdus par rapport à la dimension de ce qui se passe ! Enfin, la mère Le Pen, semblable à elle-même et sans aucune honte, parle de la mise sous tutelle d'un peuple, ce qui est habile comme d'habitude, parce que ce n'est pas faux.

Oulala, que dire ?

D'une part que l'Europe se perpétue en devenant réaliste, c'est à dire adepte du compromis avec un niveau d'expert. L'Europe étant une gigantesque machine où les peuples se détestent mais néanmoins se débrouillent pour que l'entité supra-régionale se perpétue, on a assisté à un exercice qui laisse les commentateurs français perplexes et qui consiste à trouver, hic et nunc, la solution viable à un problème vraiment inextricable- demain on verra bien et on corrigera plus tard, si besoin est. Dans la vie privée et professionnelle, on fait cela tout le temps, il n'y aurait qu'en politique, lieu du rêve et des fantasmes, ou on ferait différemment ?

Problème inextricable pour beaucoup de raisons.

Parce que la Grèce a été dirigée par des hommes politiques de gauche comme de droite, qui ont menti, triché, fait des paris sur l'avenir qui ont échoué et ainsi conduit leur pays à la ruine. Mais ce n'est pas le premier pays européen qui déconne et certains ont fait bien pire. D'autant qu'avec un peu plus d'habileté, cela aurait pu réussir. L'élargissement de l'Europe avait pour but de sortir les pays périphériques du sous-développement, ça a marché pendant pas mal de temps, allez visiter la Grèce (oui, oui), le Portugal ou l'Irlande et comparez aux images d'il y a 50 ans ! Je crois que l'histoire retiendra que ce pari a réussi - aux convulsions de la crise actuelle près, probablement, mais là aussi on verra.

Parce que la fameuse Troïka a proposé des solutions qui ont étouffé la Grèce et ont démoli son économie au point que ses objectifs, se faire rembourser ses prêts qu'on pourrait qualifier d'usuriers, n'ont pas la moindre chance d'être atteints. Ce qui ne marchera pas avec la Grèce, n'a pas non plus fonctionné ailleurs en Europe. Les politiques d'austérité ont plongé l'Europe dans une crise inutile, importée des USA où elle aurait pu rester, et imposé de grandes souffrances aux pauvres du continent et renforcé les "nantis". En faisant perdurer la crise et en envoyant les commentateurs à la rue, quand ils osent dire que l'Espagne va mieux que la France, alors que la croissance des 6 derniers mois tente de relever un pays qui est encore 7 points en dessous de son état d'avant la crise et affiche 20% de chômeurs (France Info, le journaliste du Monde qui est chroniqueur... économique) ! N'imp de chez n'imp ! Lisez Krugman, Stiglitz, un édito du New York Times de la semaine dernière, ou même le DSK nouveau, eux ils ont un discours réaliste, les premiers depuis 7 ans... tiens depuis le début de la crise !

Parce qu'on a négligé les leçons de l'histoire. Les dettes excessives ont toujours été annulées, au moins les dettes des états. Depuis Philippe Auguste, qui a réglé les dettes du royaume en emprisonnant les Templiers, jusqu'au plan Marshall qui a annulé la dette allemande en 1945 et a même prêté de l'argent au pays vaincu - et à ses voisins aussi.

Il y a aussi au cœur de l'Europe de grandes contradictions, qui ont conduit à cette société de détestation mutuelle dont j'ai parlé pus haut : l'Europe du Nord et celle du Sud, les riches et les pauvres, trois distinctions qui se recoupent a peu près dans la géopolitique actuelle du continent.  On pourrait dire aussi la gauche et la droite. Il y a des cultures très différentes qui coexistent dans l'UE et l'Euro, rappelez-vous les pays mono-chroniques ou poly-chroniques  et la distinction entre contexte fort et faible - d'ailleurs un petit cours de rattrapage sur le management interculturel ne fera pas de mal  aux dirigeants du conseil de l'UE. L'Allemagne insiste avec toute l'intransigeance de M. Schäuble sur le respect des règles dont on sait qu'elles sont la cause d'une grande partie de la crise actuelle : pays monochronique à contexte hyper fort!   En face on a le contraire, côté Grèce, mais aussi France et Italie, plus polychronique, je meurs Tiens, ce sont les trois pays qui ont fait entendre une petite musique un peu différente ces jours derniers, quel hasard !

La solution actuelle n'est ni idéale, ni rose, ni intellectuellement cohérente, puisqu'il s'agit d'un compromis entre gens qui sont en désaccord sur beaucoup de choses. Mais elle a évité le Grexit et, pas loin derrière, la désagrégation de l'Euro et de l'UE qui aurait suvi.

Après ces compromis de dernière minute, survient souvent, presque toujours ? une remise en ordre plus profonde. Les contradictions doivent en effet être dépassées, au moins les plus criantes d'entre elles. L'Allemagne devra donc prendre conscience du fait que la culture des autres pays d'Europe n'est pas la sienne. Difficile, si on pense a ce petit détail qu'a été la nationalisation d'ESTEP par TKS, autre mauvaise décision tout à fait emblématique de la culture teutonne, mais possible. Ce pays a une culture pragmatique. La Grèce devra souffrir encore un peu, surtout les nantis de là-bas. La Troïka devra tirer un trait sur sa dette. Et les économistes devront réfléchir aux modèles de développement, voir comment sortir du sous-développemnt à la bonne vitesse. Et les journalistes devront prendre le sens du temps long, du temps lent... On pourrait par exemple suggérer à Merkel de limoger Schäuble, comme les durs d'Europe l'ont exigé de Tsipras pour Varoufakis. Et on pourrait discuter d'un Suomexit ?

On retiendra dans l'avenir que la crise grecque n'aura pas été seulement une crise auto infligée par la Grèce. Qu'il n'y pas nécessairement eu de gagnants ni de perdants dans la résolution de la rose de juillet 2015.