J'ai voulu démarrer ce blog on line quand j'étais encore à Xi'an, mais l'accès à Blogger est bloqué, en écriture comme en
lecture. Ce que dit la presse occidentale sur l'interdiction de certains accès
internet en Chine, dans le genre libre expression, se constate donc assez
simplement !
Je voulais parler de cette semaine passée en Chine, sans
intention de rien en dire de négatif ou de faux, a priori. Mais les censeurs
chinois ne sont pas dans ma tête.
Le lieu est Xi'an, 西安, la paix
ou le calme occidental si l'on traduit le sens des caractères, une capitale
provinciale de seulement 9 millions d'habitants. Il n'y a que deux villes de cette taille en
Europe ! La Province, c'est Shaanxi, 陝西,
même Xi (西) que celui
de Xi'an, qui veut dire l'ouest (le nishi japonais).
Une ville du cœur de la Chine, donc loin des villes de l'est
censées concentrer la croissance, la richesse découverte depuis le début du XXIème
siècle et une classe moyenne affluente – telles qu'on voit les choses en Europe.
Xi'an est une ville moderne, qui n'a pas
grand chose à envier à Beijing, Shanghai ou Hong Kong, sauf que la démesure en
cœur de ville y est moindre : les immeubles ne concourent pas avec la tour
Eiffel, malgré leurs cinquantaines d'étages[1], et il
n'y en a aucun dans la "vieille" ville enfermée dans ses remparts,
qui l'encerclent complètement. Par
contre, quand on la quitte, les tours se succèdent en rangs serrés, comme des
forêts de crayons qui enveloppent la ville en anneaux sur une vingtaine de
kilomètres, au moins.
Xi'an a été la capitale de la Chine, sous 18 dynasties nous
disent les livres, mais je peine déjà à me rappeler les 11 principales d'entre
elles (Xia[2], Shang,
Zhou, Qin, Han, Sui, Tang Song, Yuan, Ming, Qing); les autres doivent se cacher
dans les espaces de Calabi Yau des Royaumes combattants ou des Printemps et
Automnes… Ce statut de capitale remonte aux siècles qui ont précédé et suivi
l'an 0 sur des périodes énormes, plus de dix siècles. Xi'an a été la plus grande ville du monde, au
temps de notre haut moyen âge, avec un million d'habitants (sous les Tangs, aux
VIIIème et IXème siècles).
Cette façon de suivre l'histoire de la Chine au travers les
dynasties de rois et d'empereurs qui l'ont incarnée rappelle l'Egypte[3] avec
laquelle elle partage l'émergence de ce qu'on appelait la civilisation, au
temps où j'apprenais l'histoire à l'école.
Sans éclairer beaucoup sur la construction de la nation et sur le sens
que ce concept a eu ou a encore dans ce pays. Mais on n'apprend pas la Chine en
8 jours, ni en dix fois 8 jours.
Le plaisir de venir en Chine, c'est de se plonger dans ce
pays, mélange d'histoire très ancienne, de traditions et de modernité, et si
plein de vigueur dans ces quartiers en ville qui semblent encore participer à
la fois de la campagne et des siècles passés.
Des foules de gens qui vivent et travaillent dans la rue, pas qui y
passent les écouteurs aux oreilles comme dans nos villes occidentales.
Evidemment, il y a de ma part une recherche du pittoresque, du différent, de ce
qui a disparu ailleurs, chez nous, car les quartiers modernes sont tout aussi
peuplés de jeunes gens les yeux rivés sur l'écran de leur smart phone qu'ailleurs, image étonnante de la globalisation ou de
la mondialisation.
Pas difficile de croire que la classe moyenne chinoise
compte aujourd'hui 400 millions de personnes, autant que la population totale
de l'Europe (507 millions). C'est cette création ex nihilo qui justifie les
déclarations optimistes de l'ONU selon lesquelles la sortie de gens de la
pauvreté est plus rapide qu'elle ne l'a jamais été, tellement rapide que cet objectif
du millénaire a été atteint en avance du calendrier. Une bonne chose pour la Chine elle-même, qui
se transforme en réplique des Etats Unis urbains des années cinquante, le
modèle d'urbanisme que le pays a choisi il y a 30 ans et qu'il a construit patiemment
depuis sans moufeter, enfilant les périphériques les uns autour des autres – il
y en a 6 à Beijing et 2 à Xi'an, et livrant ainsi la ville à la voiture.
Manque de pot, ce qui devait se produire s'est produit : les
villes sont devenues d'immenses embouteillages à toute heure de la journée,
même à Xi'an. Et l'air, inodore et
incolore est devenu visible et épais - sensible : une brume permanente, un smog
qui ne laisse passer qu'une lumière jaune (attention au réglage de la
température de couleur de votre appareil photo !) enveloppe les villes, même quand le soleil
arrive à percer et que le vent souffle. Il faut un typhon pour le nettoyer pour
quelques jours ! Les écologistes parlent de 500,000 morts par an du fait de cette
pollution, c'est cher payer pour sortir de la pauvreté !
Evidemment, la Chine diagnostique ses propres problèmes et
réagit. A une vitesse assez surprenante. Xi'an, pays des autobus et des
voitures, s'est dotée de deux lignes de métro automatiques, comme la ligne 14 à
Paris – Beijing a 17 lignes construites et 7 encore en construction. Attendre,
parfois, permet de bénéficier des dernières technologies et d'éviter les fautes
faites par les autres. Mais elle n'a pas
encore tiré toutes les conséquences de ses propres erreurs : les autoroutes urbaines
surélevées, qui sillonnent Shanghai, ne sont pas encore transformées en jardin
suspendus de Babylone, ce qu'apportera nécessairement la transition verte, volens nolens. Voir de la même façon comment la Chine s'est
dotée en quelques années du réseau de TGV le plus développé et le plus
ambitieux du monde[4] (un
modèle pour les Etats-Unis, retour d'ascenseur ?).
On doit envisager que la Chine va de la même façon
décarboner rapidement son économie, même si elle a fait exactement le contraire
jusqu'à maintenant, même si le travail paraît immense, vu par nos yeux
occidentaux et au travers de nos refus, dans le monde industriel, d'en payer le
prix pour nous mêmes. Aujourd'hui, la
Chine est devenue numéro un dans le monde en énergie renouvelables et il n'est
pas impossible de penser qu'elle va aussi le devenir dans tous les domaines
liés à l'environnement, y compris ses enjeux globaux. Rien n'est sûr, mais vu la façon dont le pays
fonctionne, encore très top down, malgré ses apparences de capitalisme débridé,
on peut y croire.
L'autre grand étonnement, c'est la coexistence de systèmes
de prix différents pour des services comparables. Un repas dans un hôtel chic
vaut quelques centaines de Yuans[5], comme
en Europe, ou aux Etats Unis. Un bon restaurant chinois, entre 20 et 50 yuans,
un repas dans la rue quelques yuans. Certes ces "services" n'ont
aucune rapport en terme de qualité, mais ils remplissent la même fonction,
celle de nourri le convive. Les pauvres
peuvent manger, la classe moyenne, les riches et les touristes étrangers –
ceux, la plupart, qui n'osent pas s'aventurer dans les gargotes.
La très grande majorité des chinois, les 800 millions qui ne
font pas partie de la nouvelle classe moyenne, paie peu de chose. C'est le reflet de leurs bas salaires, qui
permettent à nos consommateurs d'acheter chez nous des produits très bon marché
fabriqués en Chine. D'autant que les boites occidentales qui font fabriquer
leurs produits ici, veillent à ce que les coûts ne soient pas trop élevés, ce
qui maintient des horaires élevés, des conditions de travail discutables, des
revenus plus que modestes. Les syndicats
en France parlent de dumping social. Ce
n'est pas faux, sauf que c'est un choix consensuel de la chaine qui va du producteur
au consommateur. Il y a cinquante ans, on aurait parlé de colonialisme,
d'exploitation des peuples colonisés.
Aujourd'hui, on parle parfois aussi de néocolonialisme, mais c'est un
discours marqué de gauche ou d'extrême gauche.
Mais sur le fond, il y a une profonde dissymétrie entre des
pays riches, où les niveaux de prix et de revenus moyens sont élevés, et des
pays plus pauvres, où les niveaux de salaires sont bas mais où le cout de la
vie aussi est bas. Les bas salaires en Chine sont bas, mais cela est en partie
compensé par un coût de la vie bas. Si la Chine fait du dumping via ses bas
salaires, les pays riches font du
dumping négatif en distribuant à leurs citoyens des revenus qui leur permettent
de s'acheter le travail des plus pauvres.
Il me semble que cette question est peu discutée. Il va en
effet de soi pour tout le monde (presque?) que les pays pauvres doivent
augmenter leurs salaires, mais la proposition contraire, baisser les salaires
des riches, en abaissant en même temps l'ensemble du système de prix dans
lesquels ils sont immergés, aurait autant de sens. Sens éthique bien sûr, car
la mise en pratique n'aurait rien de très évident, hors crises mondiales absolument
majeures.
Si on sent peu la pauvreté dans la ville, tellement les gens
sont industrieux et semblent toujours trouver à travailler pour gagner leur
vie, sûrement chichement, on rencontre des mendiants, peu nombreux pour des
européens, mais assis par terre avec une sébile devant eux: des jeunes gens et
des vieux. L'indifférence des passants est un autre aspect de la mondialisation
!
Il faut aussi dire deux mots du dépaysement culturel, donc
jouer au touriste:
- · la beauté des caractères chinois, qui ressemblent un peu aux kanji japonais, ce qui permet de deviner ce qu'ils signifient, et qui décore le jour… et la nuit.
- · les quelques traces d'histoire que la croissance urbaine n'ont pas effacées, comme les fortifications qui entourent encore le cœur de la ville. On les parcoure en vélo. Les étrangers paient l'entrée beaucoup plus cher que les chinois, autre trace d'une double monnaie, comme ce dont rêve Chevènement pour les pays européens.
- · et les mausolées des empereurs, dans leur démesure, où le souverain Qin Shi Huang (秦始皇; 259 – 210 AJC) de la dynastie des Qin est enterré avec son armée, des milliers de fantassins de terre cuite et les cavaliers avec leurs chevaux ou les cochers avec attelages et chariots. Le même empereur qui a construit la muraille de Chine (en fait en a unifié des fragments préexistants), unifié la pays pour la première, d'où son surnom de "premier empereur", tout en réalisant des autodafés et autres atrocités contre les savants. La Chine moderne est fière de ce lointain passé, qu'elle fait sien en y lisant l'origine de la nation chinoise il y a 22 siècles – un concept difficile à comprendre quand on est européen et qu'on a vu les nations acquérir de la consistance beaucoup plus récemment et après des évolutions complexes. On ne déclare pas en Europe que l'origine de l'union européenne en tant que nation, qu'elle n'est pas complètement, est l'empire romain, ou les royaumes celtes ou les villes grecques… même si on y lit les origines de la "civilisation" européenne, au moins de sa culture - terme moins ambigu.