Introduction à notre
travail de prospective
Il n'y a pas de doute que la Lorraine est arrivée à une
croisée de chemins historique. Comme la
France, l'Europe et la planète entière le sont aussi.
Une période de grandes incertitudes et de défis
Bien sûr, le changement le plus immédiat et le plus visible pour
les Lorrains est le redimensionnement des Régions françaises qui emmène la
Lorraine vers ALCA, un nouveau cadre dans lequel nous allons collectivement
exister, réfléchir et nous redéfinir : nous deviendrons ainsi la deuxième
région française en matière d'agriculture, de forêts et de production vinicole
par exemple.
La Grande Région aux contours d'Austrasie, dans laquelle La
Lorraine a appris à fonctionner en sautant les frontières nationales, existe
toujours et nous rappelle que les logiques géopolitiques de demain ne seront
pas nécessairement définies par Paris, ce qui est évident au niveau européen,
mais l'est aussi à notre niveau plus local.
A une échelle plus large, la France est en crise, l'Europe
aussi de même que le monde entier. Crise veut dire changements profonds, remise
en cause de nos certitudes, voire de nos valeurs, et incertitude sur les
chemins que l'avenir va emprunter.
Une crise comporte de bonnes choses, par exemple le fait que
le monde ait atteint ses objectifs du millenium plus vite que prévu, voyant
ainsi la pauvreté reculer dans le monde.
Une crise comporte aussi des composantes inquiétantes,
porteuses d'incertitudes et de défis à relever - à condition d'en avoir une
conscience aigue. Si on n'y réfléchit
pas de façon spécifique, nous serons assaillis par la crainte et tentés par le
repli sur nous-mêmes.
Nous pourrions citer la crise économique qui nous accompagne
depuis 2008 et qui perdure aujourd'hui encore.
Il n'y a d'ailleurs pas de récit consensuel sur les causes
profondes de cette crise ni sur les
mécanismes qui nous ramèneraient vers une croissance retrouvée. Quelles sont
les pierres philosophales pour retrouver la croissance, le ressort sur lequel
on a basé jusqu'ici nos espoirs de plus de bien-être et d'emploi ? Ou pour nous
adapter à un avenir moins matériel, moins lié au PIB, mais qui conserverait le
bien-être ?
Nous pourrions citer aussi le changement climatique, qui
change déjà notre quotidien. Ses conséquences vont s'amplifier, avec le défi
extraordinaire de le limiter et la nécessité de nous y préparer pour nous
adapter à ses effets irréversibles.
La nécessité impérieuse de déchiffrer les avenirs
possibles
Nous entrons dans une période sombre au sens où il est
difficile de voir où nous allons. Nous naviguons sur des eaux agitées, où les
vagues sont hautes et heurtent notre bateau de travers. Faut-il alors mettre
des lunettes noires pour percer l'horizon ? Faut-il abandonner la barre au
pilote automatique ?
La réponse nous parait clairement être NON !
Parce que le génie de l'humanité, des Français et des
Lorrains que nous sommes, a toujours consisté à affronter les défis. Il n'y a
que cela qui respecte notre dignité.
Et aussi parce qu'on dispose d'un outil pour penser l'avenir
et ses défis. Cet outil c'est la prospective, qui a l'ambition et la capacité
d'éclairer l'avenir. La prospective est
une discipline inventée à la fin de la seconde guerre mondiale, qui a aidé les
Etats Unis et les Alliés à sortir du cauchemar de la guerre. Depuis, elle a
guidé des milliers de communautés et de décideurs vers la prise en compte des
défis avec réalisme et une vraie efficacité.
Le travail mené par la section prospective a l'ambition de
donner à la Région une vision de la météorologie tourmentée qui est devant
nous. C'est un travail aussi ambitieux et complexe qu'il est indispensable.
Il ne vise pas à dire ce qui doit être fait – c'est le rôle
d'autres instances de dire la politique, mais simplement à montrer les futurs
possibles auxquels nous sommes confrontés. Parler de scénarios, sans en
privilégier aucun, donc sans se laisser aller à croire que l'avenir ne sera que
le prolongement du présent, mais sans céder non plus à une vision trop optimiste
de l'avenir, basée sur une confiance dans la technologie et la science, ni au
contraire à une vision trop pessimiste, voire catastrophiste pilotée par les
inquiétudes légitimes liées au changement climatique et au blocage actuel de
l'économie.
La section Prospective a déjà beaucoup déblayé le
terrain
La section a réalisé un travail de réflexion large,
approfondi et plein d'imagination.
Nous avons réfléchi aux hommes, à travers la démographie et
les questions liées à la santé.
Sur le premier point, l'avenir ne relève pas beaucoup de
surprises, à condition que le dynamisme démographique de la Lorraine et de
l'Alsace se maintienne et se renforce.
Sur le second, dans une région qui assume son passé
industriel et ouvrier en terme d'espérance de vie un peu faible, l'avenir est
dichotomique.
La biologie, la pharmacologie et la médecine laissent
entrevoir un avenir radieux, avec une augmentation de la durée de vie, surtout de
la durée de vie en bonne santé, voire, pour les visions les plus optimistes, un
véritable bon en avant.
Par contre, les menaces en termes de nouvelles maladies et
d'émoussement de l'efficacité des grands médicaments apportent un contrepoint
plus inquiétant. On peut aussi se
demander si nous aurons la volonté et l'imagination pour éviter que les progrès
de la médecine n'accentuent la fracture sociale, en excluant les plus démunis
et en ne traitant que les hauts revenus.
Le scénario qui sera effectivement suivi trouvera très
probablement un chemin médian, zigzaguant entre ces deux futurs contrastés,
mais on n'évitera le pire que si on affronte avec audace les défis identifiés,
sans s'abandonner aux espoirs d'une technologie rêvée.
Nous avons aussi réfléchi au tissu économique et à ses
relations avec l'environnement, notre morceau de planète qui relève
d'ALCA.
En ce qui concerne l'économie, nous sommes en face de deux
futurs très différents.
Nous sommes face d'une part à un scénario contrasté
optimiste, qui affirme avec force que l'économie est en train de changer de
modèle, de paradigme et même de Kondratieff, que nous vivons une nouvelle
révolution industrielle basée sur les nouvelles technologies de l'information
et de la communication (les NTIC), qu'on
appelle aussi le numérique. La
croissance mondiale devrait repartir, la pauvreté reculer et la culture et la
démocratie en tirer un grand bénéfice.
Un autre scénario contrasté imagine au contraire que la
croissance est derrière nous, que nous n'avons plus de réserves de productivité
sur lesquelles rebondir, ni de ressources sur une terre finie et surexploitée,
et que nous nous acheminons vers une stagnation, ou même vers une décroissance.
On aurait besoin, dans ce monde-là, d'une transition vers la non-croissance,
qu'on a peine à imaginer comme facile à vivre.
Il est probable que nous trouverons là aussi un chemin
médian. Et qu'il faudra à la fois tirer fort pour aboutir à une petite
croissance, 1 ou 2% – et le numérique nous y aidera, mais aussi veiller à ce
que la société ne se fragmente pas plus qu'aujourd'hui.
Le numérique ne suffira pas à conjurer les dangers de la
récession. On doit aussi privilégier des activités concrètes, donc basées sur
l'agriculture, la foresterie et l'industrie. La Renaissance industrielle, qui
est un slogan de l'Union européenne, doit aussi devenir un slogan de la
Lorraine, qui a une tradition ancienne et donc une culture et un savoir-faire
profonds dans ce domaine, et d'ALCA.
Les activités industrielles liées au numérique et à ses
technologies d'accompagnement, comme la fabrication additive, devraient faire
partie de ce renouveau.
Mais il faudra sûrement imaginer aussi une
ré-industrialisation basée sur des ressources locales, comme l'industrie du 19è
et 20è siècles l'a été. C'est
une façon de préserver les activités en les ancrant dans les territoires et
d'éviter d'être mis en permanence en concurrence sur les critères les moins
disant de la mondialisation.
Les ressources locales sont nombreuses : (1) biomasse basée
sur la forêt et l'agriculture, (2) énergies renouvelables basées sur le vent,
le soleil et aussi la géothermie, stockage de l'énergie (STEP) sur les pentes
vosgiennes, (3) hydraulique à échelle
locale, (4) gaz de houille et pourquoi pas (5) gaz de schiste, dont la Lorraine
semble être dotée en abondance, à condition qu'on accepte d'y aller voir, (6) sel
gemme du Saulnois et (7) potasse d'Alsace, (8) calcaire des côtes de Meuse, (9)
sable et graviers des vallées meusiennes, mosellanes et rhénanes, et, pourquoi
pas, (10) houille et (11) minerai de fer, abandonnés lors de la première
mondialisation, mais dont les réserves son intactes dans le sous-sol et dont
les gisements ultramarins perdent en attractivité. Il y a aussi des
possibilités de (12) stockage souterrain des déchets nucléaires et (13) du CO2
: dans ce dernier cas, certaines industries seront amenées à terme à
se rapprocher de sites de stockage de
forte capacité. Il y a aussi (14) le bois matériau et (15) le bois énergie ; et
(16) la mine urbaine avec ses métaux, dont la ferraille, et ses ressources en
matériaux très divers, qu'il conviendra d'exploiter dans le cadre de l'économie
circulaire. Enfin, alors qu'on ne considère pas souvent cela comme une
ressource, (17) la logistique basée par les grands axes de circulation qui
traversent la région, sera aussi une source d'activité importante et de
connectivité avec les régions voisines, en assurant le flux de commodités, de
biens et de personnes qui sont le sang de l'Europe.
Cette industrie renaissante nourrira les activités tertiaires
qui accompagnent toujours cette activité secondaire.
L'environnement est
aussi une composante-clé du futur, dans la mesure où on doit le maîtriser pour
assurer le bien-être des gens, au-delà de la dimension purement économique de
leur vie.
Le changement
climatique est une tendance lourde, où les scénarios sont ceux d'une
réduction du réchauffement à 2°C, côté des optimistes et une envolée des
températures du côté des pessimistes. Dans les deux cas il y aura modification
du climat local et des conditions de l'agriculture. Dans le scénario contrasté le plus pessimiste,
une immigration climatique devrait doubler au niveau mondial le nombre de
migrants, et cela aura aussi des conséquences sur ALCA, jusqu'à en modifier la
démographie. ALCA a des réponses locales
à apporter à la lutte contre le changement climatique. En repensant ses
bâtiments, les structures de ses villes, ses réseaux de transport et ses
activités industrielles et en transformant la région en zone verte, à empreinte
carbone quasi-nulle.
Cela impliquera aussi de traiter convenablement les questions
de biodiversité en créant des corridors verts et bleus pour créer des
passages au travers du tissu urbain entre les zones rurales ou
forestières.
En matière d'environnement, on est en face de scénarios
presqu'uniques, où les choix politiques seront imposés par des contraintes
incontournables. Sauf à fermer les yeux et à foncer dans le mur !
Ce travail n'est qu'une étape…
Tout ceci n'est qu'une première étape.
Il reste encore beaucoup de questions à approfondir, autour de
l'utilisation de l'espace, de l'urbanisation, de la mobilité, des modes de vie,
de la gouvernance et des conflits.
La démarche prospective demande rigueur, travail et donc
temps. Du temps, nous en avons encore besoin pour mener jusqu'au bout la
démarche entreprise, même si elle apparaît dores et déjà très riche.
Nous vous invitons à prendre connaissance de ce qui a déjà
été fait.
Ecrit par JP. Birat
PS. On peut décliner ces questions dans un style formel et
soutenu de prospective rigoureuse ou au contraire proposer des nouvelles qui
déroulent le même genre de récit, mais de façon beaucoup plus vivante.
Ce texte est une proposition d'introduction à un rapport intermédiaire de la section prospective du CESEL.