mardi 26 juillet 2011

Les morts, la mort

Il y a ce fou, en Norvège, qui a tué 90 personnes et cette logorrhée qui a aussitôt saisi la presse. Pour les plumitifs et les emplumés, ils sont aussi stimulants et inspirants, ces morts, que le viol de la femme de chambre par le politicien puissant, ils constituent une source intarissable de mots, de lignes, de pages, d'heures d'antenne.

Moi qui croyais que c'était le changement climatique qui était important, qui méritait discours et paroles, non pour causer et disserter, mais pour réfléchir tout haut aux actions à entreprendre ! Vieil activiste soixante-huitard tourné rationaliste bavard !

J'avais totalement tord, bien sûr.

Il n'y a aucune émotion dans la catastrophe du changement climatique annoncée pour un avenir si lointain et si mal défini; les morts qui surviendront par dizaines, centaines de millions ne comptent pas autant que les morts d’aujourd’hui, qui meurent en direct - on peut presque sentir leur âme qui s'échappe, et aux obsèques desquels on peut se rendre - même si on ne les connait pas, qu'on ne les a même jamais vu qu'à la télé - et sur les livres de condoléances desquels on peut écrire par internet.

C'est comme s'il existait un taux d'actualisation des morts qui fait que les morts de demain comptent peu en regard de ceux d'aujourd'hui. Intéressant pour les économistes qui réfléchissent à la façon d'internaliser les externalités non solvables, n'est-ce pas !

Il y a aussi les morts d'hier, ceux qu'on célèbre dans les fêtes nationales, dans les meetings nationalistes. Ils comptent aussi beaucoup, mais peut-être pas parce qu'ils sont morts il y a longtemps, mais parce qu'on les réintègrent dans le présent immédiat par des discours enflammés, percutants, qui font appel aux émotions un brin vulgaires du public ?

Les morts des centrales nucléaires, qui ne mourront peut-être jamais, si les centrales ne fondent pas dans un syndrome chinois - ou japonais devrait-on dire maintenant ? - comptent aussi beaucoup, beaucoup plus que les morts certains du changement climatique. Ils ne sont pas non plus affectés du même taux d'actualisation tous ces morts, ces morts d'en haut et ces morts d'en bas.

Il y a ceux auxquels on croit et qui font peur, et ceux auxquels on ne croit pas et qui ne font pas peur. Croire, c'est plus fort qu'être. Craindre, avoir peur, c'est plus fort qu'essayer de comprendre, de savoir, de réfléchir...

Etrange arithmétique de la mort.

Les morts du World Trade Center, qui font horreur, et les morts des guerres d'Irak et d’Afghanistan, 100 fois, 500 fois plus nombreux, mais qui ne sont pas décomptés avec les mêmes unités; encore des taux d'actualisation différents ! Ou une loi du talion logarithmique...

Les morts des Fukushima à venir et ceux de qui ne sont jamais sortis des explosions de grisou dans les mines de charbon, ou qui sont mort à mi-vie de silicose, sont aussi comptés par des métriques logarithmiques ! Les morts dont on parle, morts d'une mort dont on a peur, et les morts du silence, les morts d'en bas.

Les morts de faim de la corne de l'Afrique et les soldats français, ou anglais, ou américains tombés au champ d'honneur comme on dit, en Afghanistan, morts en même temps. Mais morts d'en bas et morts d'en haut.

Même dans la mort, les morts ne sont pas égaux !

Quelle force que la mort quand on en parle ! Aussi fascinante que le sexe et le pouvoir, ou toutes ces choses mélangées.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire