Le Monde vient de produire un édito (journal en date du 27/04/2012) pour réclamer que Paris ose se doter de gratte-ciels, comme l'ont fait la plupart des grandes villes du monde... sauf un assez grand nombre de vieilles villes européennes. Si les urbanistes parisiens du passé n'avaient pas laissé la ville changer au cours de sa longue histoire, elle n'aurait ni sa richesse, ni son charme actuels. Il y a bien une exception en région parisienne, le quartier de la Défense, hérissé de gratte-ciels, dont les plus anciens, vieux de 30 ans, ont déjà été démolis et reconstruits dans des styles plus récents; c'est le quartier d'affaires le plus important d'Europe, en m2 disponibles. Montréal ou Toronto ont laissé la ville croitre vers le ciel, à la manière des cathédrales, mais les plus créatives des villes du monde qui ont osé cela sont Chicago (Michigan Avenue), New York et Beijing (Rue Chang'an).
Le cri citoyen du
journal relève de plusieurs logiques : la première est qu'une ville est une
structure vivante et qu'elle doit changer, par apoptose, par remplacement des
anciennes cellules et par croissance de nouvelles, une métaphore de
la ville comme structure biologique vivante, qui exprime que ce qui ne change
pas se nécrose ou se fossilise. Il faut aussi tenir compte de la
croissance de la population urbaine et éviter que le déficit de logements et de
bureaux ne crée des bulles foncières de nature spéculative.
Ces questions ne
concernent pas que les grandes villes. Les petites villes de
"province", comme on dit à Paris, doivent affronter les mêmes soucis
et en outre gérer la question de l'étalement urbain, une espèce de mélanome qui
se propage en mode banlieue ou rurbain loin des villes, avec ces métastases que
sont les réseaux d'autoroutes. La messe est dite autour de Paris et des
mégalopoles, on peut peut-être éviter que les villes moyennes échappent à la pandémie
? Dans mon village dont la superficie ne dépasse pas 2 km2, sont concentrés pas
moins de deux autoroutes, deux méga-échangeurs et une route à quatre voix en
projet, soit une surface au sol du quart de la superficie de la commune !
Et une ville quasiment continue existe aujourd'hui, de Luxembourg à Épinal, le
sillon lorrain (http://www.sillonlorrain.org/), une construction organique,
naturelle, spontanée, liée à la géographie des vallées de la Meurthe et de
la Moselle, qui cherche comment donner une structure administrative opérationnelle à cet
ensemble à cheval sur deux pays, trois départements français et une région
hexagonale, la Lorraine.
Les immeubles de
grande hauteur, à Metz, Nancy, et pourquoi pas à Thionville et Epinal,
seraient une solution à ces questions.
Cela parait incongru
aujourd'hui avec des règles d'architecture qui imposent de ne pas dépasser le
hauteur de la cathédrale à Metz - preuve d'ailleurs qu'au Moyen Age on n'avait
cure de rester au ras des toits. On n'avait pas de règle semblable à
New York (Saint Patrick) ou à Montréal (Église Saint James). Je ne propose pas
d'enfermer Saint Étienne au fond d'un puits de très grands gratte-ciels, mais
de choisir où ériger des quartiers de crayons dressés vers le ciel. Aller voir
à Luxembourg comment ils y ont transformé le plateau du Kirchberg, à l'une des
extrémités du sillon lorrain. Il faudrait aussi en profiter pour arrêter
l'étalement urbain et laisser les habitants des villages lointains revenir vers
des centres. Cela demandera de l'imagination des dessineurs de villes,
mais de beaucoup d'autres acteurs de la vie publique : faire en sorte que les
gradients de prix, peut-être un prix élaboré comme un coût d'usage, redeviennent
centripètes, cesser de bétonner les abords des centres pour que les rurbains
puissent y "commuter", construire des systèmes de transports en
commun qui ne s'arrêtent pas à la frontière des ensembles administratifs (comme
le Mettis et la Communauté urbaine de Metz), imaginer des voies cyclables qui
servent à aller travailler au quotidien, pas seulement à se promener le
dimanche dans des zones bucoliques, et en décidant de leur donner la primauté
par rapport aux voitures.
Les immeubles
eux-mêmes peuvent être des lieux de vie nouveaux. Le Corbusier et ses
Cités Radieuses a déjà exploré certaines de ces possibilités : dans celui de
Marseille (la maison du fada),
on trouve des écoles, un hôtel, un excellent restaurant et des boutiques,
répartis à différents étages et pas simplement dans la rue. Quoi de plus
rassurant pour des parents que d'envoyer les enfants à l'école dans l'immeuble
au 42è étage, sans rue à traverser, ni feu rouge à respecter. Le samedi,
les israélites peuvent aller au Temple au 40è étage. Les catholiques auraient
la messe le dimanche dans l'église du toit de l'immeuble et les musulmans
iraient à la prière dans la mosquée du 7è - on pourrait aussi penser à des
lieux de culte multiconfessionnels, comme ceux de Bethléem ou des aéroports parisiens.
Les boites de nuits seraient proches des passerelles reliant les immeubles
entre eux, de façon à assurer un pool de gènes suffisamment large aux
générations futures, etc. En revenant à la maison de ces lieux publics,
on passerait à la boutique des fermes urbaines pour y faire son marché
quotidien de fruits et de légumes, etc. Et la maison n'aura pas de raison
d'être un simple appartement genre HLM, car là aussi l'imagination devrait être
la règle, comme dans les cités radieuses ou les duplex sont la règle.
Les gratte-ciels donc, mais
aussi une vision d'un lieu de vie global, régional, citial, où l'on puisse vivre, travailler, s'amuser, se cultiver,
apprendre, faire des bêtises, dans un espace à trois dimensions permettant
aussi de bouger (un terme qui pourrait remplacer celui de mobilité, un peu usé,
éculé, trop approprié par des lobbys).
Il faudrait aussi penser à la
biodiversité, qui fait les frais aujourd'hui de l'étalement urbain. Ces villes
nouvelles seraient traversées de couloirs
verts et bleus, qui assureraient la connectivité d'un espace réservé aux
écosystèmes naturels.
Ce serait une grande
révolution, une rupture de paradigme, car, aujourd'hui, c'est la ville qui
revendique ce tissu continu et le réalise, sans y penser.
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