dimanche 11 juillet 2010

Au pays des cheikhs en blanc et des dames en noir...


Les Emirats Arabes Unis (EAU), Dubai, Abu Dahbi, c'est au bout du monde, dans l'inconnu de l'altérité, et si on en a tous entendu parler, qu'en sait-ton ?


Une mission où j'ai joué le rôle d'un expert auprès des Nations Unies m'a envoyé là-bas pour 3 jours en juin 2010. Dans les interstices entre les réunions de travail et les rencontres sociales qui les accompagnent, quelques instants pour regarder et s'étonner, à la Candide.

Ma réunion traitait de capture du CO2, une technique pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, donc d'un sujet écologique global s'il en est, l'atmosphère et la dispersion des gaz à effet de serre qui s'y pratique grâce aux lois de la physique, concrétisant cette réalité holistique, gaïenne, planétaire, globale pardon !

Les EAU sont les deuxièmes émetteurs de CO2 par habitant dans le monde: 32,8 t/cap derrière le Qatar et avant le Koweït, Bahrein, tous des voisins du Golfe Persique. Les Etats Unis, toujours pointés du doigt comme les pires pollueurs dans ce domaine, ne sont "qu'à" 19,1 t au 9ème rang, alors que la France, bardée de ses centrales nucléaires et de ses barrages, est à 5,8 au 59ème rang. Dans un pays protestant comme la Norvège, au 40ème rang mondial, on dirait que le pays recherche les moyens d'expier ses mauvaises performances dans ce domaine, d'autant qu'Abu Dhabi et Norvège sont par ailleurs de grands producteurs et exportateurs de pétrole. Un exportateur de pétrole est un exportateur, certes virtuel mais néanmoins très réel, en bout de chaîne de valeur, de CO2. Expiation, atonement, recherche du pardon par des actions de remédiation. Peu importe les explications relevant de l'éthique des relations internationales, le pays a invité l'ONU à se réunir ici, laquelle, selon ses statuts, se doit d'accepter ce genre d'invitation.

Merci donc à ces règles de courtoisie internationale pour les 14 heures d'avion, aller-retour, depuis Paris et pour l'empreinte carbone non négligeable que la centaine de participants a inscrite dans l'atmosphère - anathème un peu facile à jeter, car les émiriens présentent leur pays comme un lieu de passage, un hub où le Nord et le Sud, géographiques et géopolitiques, se croissent. Merci aussi de cette occasion de nous donner à voir un autre monde qui fait partie de notre monde.

Atterrissage au petit matin dans la brume! Çà pourrait paraître paradoxal en plein cœur du désert d'Arabie, mais l'eau couleur d'émeraude du Golfe, auprès de laquelle se lovent les villes de Dubai et d'Abu Dhabi, en est nous dit-on la cause. Donc chaleur accablante et humidité maximale, un cocktail de rêve!

Rencontre des premiers bédouins en habit et coiffe blancs, agents d'immigration, un sujet trop sérieux pour être confiés à des travailleurs étrangers.

Dans ce pays où 85% de la population est immigrée et donc seulement 15% sont des citoyens, certaines activités comme celles de fonctionnaires sont réservées aux nationaux. Ces chiffres font sourire, quand on se rappèle les "lois" sociologiques invoquées par des hommes politiques en France et énonçant un chiffre de 15% aussi, mais à l'envers, au-delà duquel le nombre d'étrangers deviendrait excessif! Évidemment, rien n'est parfait ici non plus, car les étrangers ne viennent qu'avec des visas de travail à durée limitée et la naturalisation ne peut jamais se faire plus ou moins automatiquement après un long séjour, comme c'est le cas en Europe ou aux Etats Unis. Ce n'est pas de l'esclavage, n'est-ce pas, mais ce n'est pas non plus un statut très ouvert...

Les étrangers travaillent partout, en particulier sur les chantiers de ce monde minéral en construction verticale dans le centre ville et en étalement horizontal dans les banlieues. La loi stipule qu'au-delà de 40°C, on doit arrêter de travailler. Une anecdote locale raconte que les thermomètres sont bloqués à cette valeur, un peu comme les diplomates arrêtent leurs pendules à minuit, pendant qu'un consensus se créée dans les heures creuses des petits matins.

J'apprends aussi que les lasers verts sont interdits dans les EAU - quand mes bagages sont radiographiés et le cœur du délit exhibé. "Pas de problème jetez-le donc!" tentais-je pour accélérer les choses et aller rejoindre le chauffeur qui m'attend à la sortie dans l'aéroport pour me conduire de Dubai à Abu Dhabi, 120 km d'autoroute, le long de la côte à travers le désert. Néni, à la bureaucratie tu n'échapperas! On m'emmène dans une salle où on doit me délivrer un reçu, dont je n'ai nul besoin, et on me fait asseoir dans une salle d'attente, en face d'émiriennes fonctionnaires, un demi-douzaine, qui se congratulent, s'embrassent, ne font presque rien sauf nous faire attendre, dans leurs belles abayas noires dont certaines sont décorées de galons sur les épaules - certainement encore des citoyennes. 45 minutes pour rien, rien du tout, mais probablement moins que rien dans la temporalité de la culture locale.

Je retrouve mon chauffeur, qui allait repartir, pensant que je n'étais pas dans l'avion de Paris d'Emirates.

C'est un Sri Lankai, qui va me raconter comme on travaille à Abu Dhabi. Il est revenu récemment, après avoir quitté le pays au moment de la crise, et dix ans de séjour. Il ne tarit pas d'éloges sur les émiriens, que l'état paie pour ne rien faire, une pension à vie sans contrepartie, une assurance chômage sans travail préalable, une sorte d'impôt négatif. Comme les EAU ont un PIB par habitant de 42.000 $ en PPA, égal à celui du Luxembourg, le pays le plus riche d'Europe, que tous les habitants sont inclus dans ce calcul, y compris les immigrés mal payés, cela signifie une rente importante! Les revenus du pétrole, redistribués initialement par le Cheikh Zayed, le premier chef de l'état des EAU, un prince d'Abu Dhabi, profitent ainsi à toute la population.

Dès qu'on roule à travers la ville, pour gagner le Sud, la prospérité de Dubai éclate.

On hésite dans les métaphores, porté dans cette démarche spontanée et probablement très ethnocentrique de vouloir ranger ce que l'on voit dans des cases préexistantes: cette forêt de très hauts immeubles, alignés comme des crayons pointés vers le ciel, c'est Shanghai, ou alors Pékin du fait du travail des architectes qui ont produit là des œuvres majeures, qui figureront dans les livres d'art, rien à voir avec les tours de Sarcelle ou celles de São Paulo. Le boulevard est une autoroute, qui traverse la ville, comme à LA, avec des échangeurs complets, une ligne de métro qui coure en son long, et des passerelles couvertes, probablement sous air conditionné, qui établissent les liens avec les immeubles. Des grosses voitures, de belles voitures, de beaux 4x4, on n'aperçoit personne dans les rues pourtant monumentales, comme tout le reste. A Abu Dhabi, avec ses parcs, ses fontaines, ses murs d'eau, on pensera aussi à Las Vegas et à Grenade et ses jardins. Tout est neuf, tout est propre et rutilant, grand soin porté aux matériaux de revêtement de tout.

Quel équilibre entre tout cela et l'environnement du désert et de la mer? On sent physiquement la pente des gradients qu'il faut entretenir à grand renfort d'énergie et d'argent, pour maintenir ici, sous les 40 ou 50° qui dardent du ciel, ce modèle de ville qui vient d'ailleurs... Qui a été inventé aux Etats Unis il y plus d'un demi-siècle, un siècle en fait, quand les ressources étaient infinies et l'attente d'un avenir rayonnant permettait de traduire ce rêve en pierre et en macadam. Quel pertinence cela peut-il avoir dans un monde qui s'avance vers une catastrophe climatique? Pourquoi construire avec des modèles qui ont vécu et dont la critique a été faite ailleurs? Pourquoi refaire les mêmes bêtises que les autres? Ou est la pensée autonome, novatrice, en rupture???
Là-bas c'est la tour Burj Khalifa, avec ses 826 mètres de hauteur et ses 162 étages... une fusée dressée vers le ciel, qui joue avec le soleil qui se lève. Les architectes, depuis les cathédrales gothiques du moyen âge européen, reconstruisent la tour de Babel pour monter à l'assaut des cieux et se rapprocher de dieu.

Ailleurs, c'est la silhouette de l'hôtel Burj Al Arab, dont la forme de voile est si élégante et si évidente: la forme de la voile des boutres (dhow (arabe : داو) ), ces bateaux qui rattachent à la tradition arabe, à la mer rouge, aux pêcheurs de perles, ruinés dans les années 50 par la perle de culture japonaise. Une forme qu'on retrouve souvent, probablement imposée dans le cahier des charges de ces immeubles commandés à des cabinets d'architectes internationaux.


Les portraits du Cheikh Zayed - Sheikh Zayed Bin Sultan Al Nahyan - sont partout, dans le style de celui de Mao sur la place Tian an Men à Beijing ou de celui du Che Guevara sur la place de la Révolution à La Havane. "Notre père", disent les émiriens, celui qui a institué l'état providence au sens émirien du terme, expliqué plus haut. Il a même un site internet pour perpétrer son souvenir, sorte de panthéon virtuel et numérique, avec ce suffixe .com qui montre que le business est parfaitement respectable: http://www.sheikhzayed.com/biography.htm

Pas de chameaux, pas de chevaux arabes le long de la route, pas de faucons non plus dans les airs. Seulement des faisceaux de lignes à haute tension qui courent la campagne, vers le nord et vers le sud, issues de ces centrales thermiques qui jalonnent presqu'en continu la côte - il faut de l'eau pour les refroidir! - et qui doublent en usines de dessalement de l'eau de mer, la seule vraie ressource en eau locale, un des outils fondamentaux pour maintenir le gradient entre le monde moderne voire post-moderne des émirats et l'environnement local.

Quelques chiffres sur le pays.

Bonne référence, établie par des analyses compétents et fiables:
https://www.cia.gov/library/publications/the-world-factbook/geos/ae.html.

4,975 millions d'habitants urbanisés à 78% (77% en France). PIB de 201 G$ en PPA, généré à 78% dans les services. Only 25% today relies on oil and gas. The State has tried very hard to diversify out of oil and gas and has launched a constructon spree to support the tertiary activities based on the pivotal location of the country between Far East and West and North and South, the ambition to have it play a major role as a business center, a transportation hub and a tourist spot for the rich. Whether this dream will ever come true is not obvious. Les chantiers à l'arrêt se mesurent au nombre de grues perchées sur les immeubles inachevés et qui ne bougent guère - les grues comme les immeubles, ;-) . Les maisons, genre hôtels particuliers de quartiers TRES chics de villes européennes ou américaines, sont souvent vides sur l'île d'Abu Dhabi. La quasi faillite de l'émirat de Dubai, le plus agressif dans cette diversification, d'autant qu'il n'a pas de réserves de pétrole, n'a été évitée que par l'intervention très volontariste de l'émirat d'Abu Dhabi au travers de l'état et des banques. Il n'est pas évident du tout que les îles du Monde ou les îles palmiers de Dubai, seront jamais habitées comme cela était planifié. Évidemment, il serait de très mauvais goût d'évoquer la montée des eaux liées au réchauffement climatique, qui mettrait à mal non seulement les Iles Salomon ou Maldives, mais aussi les îles artificielles de Dubai.

Abu Dhabi, mon hôtel, très luxueux et très bien climatisé, très humide dans ses jardins en plein soleil. Non, ma chambre n'est pas une suite. Oui, au restaurant libanais de l'hôtel, on parle français... car les serveurs et maîtres d'h sont des marocains.

Mon séminaire, intéressant, mais hors sujet dans ce blog. Sauf pour dire que le pays va construire une des premières aciéries avec captage et stockage du CO2 au monde, qui sera en service à peu près en même temps que le démonstrateur européen d'ULCOS. Détail intéressant pour ce blog, ce projet sera financé par des CDM (MDP en français, Mécanisme de Développement Propre), cet instrument de Kyoto prévu pour fiancer les transitions aux technologies vertes du Sud, aidées par le Nord. Ici, Sud veut dire pauvre et Nord riche, ce qui était le cas dans les années 90 où le concept a été inventé, mais cela ne représente plus la réalité d'aujourd'hui. Du pain sur la planche pour que les gens de siences politiques pour réinventer des instruments plus proches de la réalité géopolitique actuelle.

Et maintenant quelques pas à l'extérieur - pour échapper au monde artificiel de la ville encapsulée. La chaleur me tombe physiquement sur les épaules. J'accuse le coup. Aucune idée de la vraie température (il faisait 33° au lever du soleil!), 40, 50°C? Seul souvenir semblable, la vallée de la Mort, en Californie.

La ville avec ses parcs, ses jardins, sa corniche de 8 km, ses larges trottoirs, ses belles pistes cyclables, n'est qu'un décors vide, une ville morte. Le minéral des immeubles et l'acier des voitures. Pas de passants, pas d'enfants, ni de cyclistes, ni d'animaux... Pourquoi, dans ces conditions, avoir choisi ce modèle de ville qui singe Paris, Washington ou Madrid? Il y a ailleurs des modèles de villes plus compactes avec des villes troglodytes, cachées et protégées des températures extérieures, comme Minneapolis, Montréal, Toronto.

Mon escapade pédestre, le vendredi quand je suis parti en voiture explorer la ville, n'a pas dépassé 20 minutes, promenade en bord de plage dont je suis sorti épuisé malgré le litre d'eau, la casquette et les verres solaires...

Les touristes, dans ces conditions, ont peu de chance de s'aventurer à l'extérieur. Ils devront passer du musée du Louvre au Guggenheim, à l'hôtel des Emirates - quand ils seront terminés, bien sûr. Bains de minuit seulement, en piscine réfrigérée de préférence, et pas en tenue de naissance, le pays ne le tolèrerait pas.
Le monument le plus fascinant d'Abu Dhabi est la mosquée du cheikh Zayed, une version moderne du Taj Mahal terminée en 1998, aussi esthétiquement ambitieuse et, presque, aussi réussie. Le marbre blanc de Carrare y est pour quelque chose, mais aussi les formes architecturales islamiques, les dômes et coupoles, les colonnades avec arcs outrepassés, les stucs finement sculptés, les céramiques, les calligraphies, les minarets, les tapis - le plus grand du monde venu d'Iran, 35 t, en une seule pièce...

Il sera fascinant de voir comment ce pays va négocier le pic pétrolier et l'après pétrole et comment il va réussir à maintenir son existence hors d'équilibre quand le milieu demandera avec exigence à être mieux respecté. Une ville arrachée au désert redonnera-t-elle une place aux modes de vies ancestraux des bédouins, qui eux étaient en équilibre respectueux de leur environnement ? Car les Bédouins, aujourd'hui, passent beaucoup de temps sur leur blackberry (bb) plutôt que dans le désert, ce sont des BBB, des blackberry Bédouins...

Un mot aussi n'a pas sa place ici, celui de démocratie. Il existe certes des libertés, mais je ne les ai pas comptées et ne sait donc pas si le compte est bon...

Envie d'y aller voir vous-mêmes?

L'habit blanc des hommes s'appelle la dishdasha, la coiffe, la guthra, et l'habit noir des femmes, l'abaya.

http://www.visitabudhabi.ae/fr/uae.facts.and.figures/culture.history.and.heritage/culture.lifestyle.and.traditions.aspx