samedi 19 mars 2011

Fukushima,Fukushima ah!

Semaine folle, où on a vécu par procuration les malheurs cumulés du Japon.

Semaine pleine d'enseignement aussi sur l'univers virtuel dans lequel on vit, et sur la perception du monde qui nous est renvoyée par le projecteur aveuglant des médias, dont il est difficile de recevoir les messages en pleine figure avec le recul critique qui serait nécessaire : notre attention et notre sensibilité est saturée par le mélange de radio en continu, de news télé et de fils RSS qui s'affichent en permanence dans une fenêtre de l'ordinateur. Même quand on se lève la nuit pour pisser, on les consulte...

Heureusement, l'espace de l'information est intensif et donc une info chasse l'autre. La guerre avec la Lybie, qui va démarrer en direct sous l'oeil des caméras, remplace les nouvelles nipponnes. La situation au Japon n'a pas vraiment évolué, mais justement, c'est là le problème, il n'y a news que news qui bougent. Quand quelqu'un agonise et qu'on l'a annoncé, il n'y aura quelque chose de nouveau à rapporter ensuite que quand il aura vraiment passé l'arme à gauche.

Ce qui est intéressant, c'est que cette bulle d'info sur le Japon, qui a rempli l'espace de l'information grand public jusqu'à le saturer, a tellement intoxiqué tous ceux qui écoutent parmi les gaijin, qu'ils sont parti ailleurs, loin, eux qui ont un ailleurs où aller, et que les journalistes aussi sont presque tous rentrés à la base. Donc, difficile de continuer à parler de ce qui se passe au Japon, il faudrait demander aux Japonais aux-mêmes de s'exprimer, quelle drôle d'idée, n'est-ce pas ?

Donc on assiste à un délire de micro-trottoirs.

Une famille française de Tokyo est partie à Manille (3000 km), probablement en sautant dans le premier avion qui passait par là; et ils écoutent les infos (lesquelles, en quelle langue ?) en continu pour pouvoir partir encore plus loin si la situation se détériorait au Japon.

Une allemande quittait Tokyo cette semaine, car le gouvernement japonais ne donnaient pas d'info... en allemand !

Un français marié à une Japonaise, s'apprêtait à rentrer en France et à abandonner sa femme à la radioactivité. Je n'ose imaginer leur retrouvailles, si il se retrouvent un jour !

Un syndicaliste FO de Valenciennes, annonçait avec aplomb qu'il se mettrait en grève si on voulait leur faire assembler des pièces arrivées du Japon, si on ne leur démontrait pas d'abord qu'elles n'étaient pas radioactives.

C'est en direct sur radio-café du commerce ! Les gens (qui sont ces gens, accoudés au bar de café virtuel ?) ne croient plus aux experts (en fait, ils n'ont jamais autant parlé), à la science, à la technologie, les grands prêtes de sectes s'expriment avec la certitude de ceux qui ont la foi (les anti-nucléaire, avec un écho de "je l'avais bien dit"), chacun a la parole avec un sens de l'équilibre (faut-il écouter avec égalité de parole les pédophiles et les enfants agressés ??? l'analogie dans le cas présent peut être reprise de différentes façons !), on utilise des mots-valises "principe de précaution", et on a peu d'analyse à un niveau qui transcenderait les logiques des gens à qi on donne la parole.

Les nouvelles du Japon, je veux dire des Japonais, amis et collègues avec lesquels on a dialogué toute la semaine par mail, sont toutes autres. Il y a avant tout la grande souffrance des 600.000 réfugiés. Et la sécurité relative dans laquelle les tokyoites se sentent. Pas raisons de partir, Fukushima c'est assez loin. On travaille. Il faut reconstruire le Japon. La sidérurgie doit tourner à fond pour fournir de l'électricité et compenser un peu de la puissance que les réacteurs frappés à mort ne peuvent plus donner. Business as usual, presque, les difficultés qu'on rencontre au quotidien sont les nôtres, on les gère ! Il ne faut pas repousser trop notre visite prévue l'an passée, Mai par exemple, etc. Parole de gens qui ne sont ni naïfs ni mal informés...

Un monde dans lequel on interpèle les autorités qui n'informent pas, pourquoi pas, les autorités qui ne sont pas capables de répondre à toutes les situations instantanément, plus ambitieux, dans lequel on se comporte en rats, qui quittent le navire, bien sûr, et un autre où on prend les choses comme elles viennent, avec discrétion, fatalisme et pas nécessairement passivité.

Ce qui manque cruellement, ce sont les points de vue de gens qui ont une vision plus large, plus écoutante, plus ouverte à la souffrance que cette situation crée, chez les victimes et chez les voyeurs que nous sommes devenus malgré nous. On pourrait écouter des philosophes, il y en a déjà plein à qui on donne la parole, pendant 1 minute et quarante cinq secondes. On pourrait aussi la donner à des prêtres, de toutes sortes de religions, si on veut absolument être universel, mais je soupçonne qu'ils diraient des choses proches.

Les journalistes pourraient aussi aborder les experts en leur demandant quelle question devrait leur être poser, plutôt que d'exiger d'eux des réponses aux questions hyper fermées, étroites et à courte vue auxquelles les arrogants du 20 heures exigent des réponses dans la seconde.

Les envoyer à l'école, les Pujadas et ses émules pour qu'ils redécouvrent la maïeutique, qu'ils apprennent la distinction entre un fusion nucléaire et une fusion de coeur de réacteur (de fission) nucléaire.

Et qu'il essaient d'utiliser des mots comme souffrance, résilience, deuil, ignorance, angoisse, inquiétude, incertitude, inconnaissable, patience, je ne sais pas, je ne comprends pas, je l'accepte, je le dis, fragilité, la prochaine seconde, la prochaine heure pas l'avenir du nucléaire dans toute sa généralité, le dialogue, l'écoute, la solidarité, la peur, la joie, les pleurs, les embrassades, la solitude, gaman suru, aller jusqu'à demain, se serrer les coudes, penser à la façon de vivre dans un pays dévasté et riche, et dans un pays dévasté et pauvre, faut-il vivre encore?, mes poursuites de bulles de temps accélérées et hyper denses sont-elles en vibration avec le monde (I don't have very good vibes!), la nature, la planète, etc.

La baie de Basho a été détruite par le tsunami.

Qui écrira des haikus dans les ruines de villes et celles de nos coeurs ? (17 syllables)