samedi 15 décembre 2012

Dictionnaire amoureux et rageur de l'acier et des sidérurgistes...


ArcelorMittal, Florange et ULCOS ont fait l'ouverture des journaux télévisés pendant plusieurs semaines, à la mi-décembre 2012, quand les évènements bougeaient. Les plateaux de télé regorgeaient alors d'experts en tout, qui nous donnaient des avis-minutes à l'emporte-pièce sur tout, même sur des questions assez absconses de sidérurgie. J'avais commencé à l'époque un blog où je voulais examiner les choses en allant au-delà de ces certitudes répétées par les uns et les autres et dont la vertu était de faire court et simple, répondant ainsi à un espèce de crédo des médias, qui croient que les choses sont intrinsèquement simples et donc qu'on peut les expliquer en quelques phrases (in a nutshell) à tout un chacun.

Mais les questions ne sont pas si simples et à chaque pas, j'ai eu besoin d'approfondir un peu et le temps a passé. Cela a permis à ma colère de rentrer dans son lit, et les références à des propos péremptoires entendus sur telle radio ne sont plus intelligibles, ni importantes. Sortir donc du style du blog qui tombe dans le travers de commenter à chaud...

Je me contente donc de quelques questions de fond, que je traite avec mes convictions et mes exigences.

1. L'acier est un matériau ringard et dépassé, qu'on ne devrait plus fabriquer en Europe (Jacques Attali). Autrement dit, toutes ces histoires de Florange, etc, sont une distraction par rapport aux "vrais" problèmes.

La production mondiale d'acier a doublé au cours des 12 dernières années. L'Europe reste la région du monde qui produit le plus d'acier par habitant. ArcelorMittal produit la moitié de son tonnage en Europe. L'acier ne correspond pas a un engouement, ni à une mode, on s'en sert depuis plusieurs millier d'années. Les pays émergents construisent leur modernité sur des centaines de millions de tonnes d'acier. Ce trend va continuer encore très longtemps, à l'horizon d'une prospective faisable, car  l'acier a des atouts extraordinaires : ce sont des dons de Dieu, si on me pardonne l'expression, et pas tellement le résultat des talents d'ArcelorMittal et de ses confrères.  Ne pas oublier non plus que les aciers et les métiers de la sidérurgie ont été inventés en Europe, a quelque échelle historique où on se place.

L'acier se place parmi des invariants sociétaux comme la vie, l'amour ou la mort. On n'externalise ni ne mondialise pas l'amour car une certaine proximité physique reste encore nécessaire pour le faire. L'acier doit être considéré de la même façon : une autre métaphore consiste à parler des grandes fonctions de l'organisme et de leur support et de 'énoncer que de même qu'on ne peut imaginer un organisme animal sans leucocytes, on ne peut pas imaginer une socité sans  acier. Les leucocytes sont générés un peu partout dans le corps et circulent partout, das le sang et dans la lymphe; de même l'acier doit être produit partout et il circule dans tous les objets que nous avons fabriqués pour constituer le contenu matériel de notre vie "civilisée".

Une discussion un peu plus détaillée de tous ces points serait probablement nécessaire, pour montrer qu'une organisation mondiale de la production d'acier, avec des centres de production distincts des centres de consommation, n'a pas beaucoup de sens et ne peut que fonctionner à la marge (cf. l'échec spectaculaire et très récent des aventures de ThyssenKrupp Steel, qui visait à produire l'acier brut au Brésil et les produits finis aux USA).  Mais cela dépasse largement le format d'un blog comme celui-ci, qui est déjà très bavard.

2. L'Europe n'a plus besoin d'autant acier que dans les années 2000. Il faut accepter une réduction durable de production et donc ajuster capacité de production et production réelle dès maintenant et de façon volontaire. Tout en gérant la cyclicité du métier.

Là aussi, chacun fonde ses analyses sur des "évidences" qui n'en sont guère.

Le rapport entre production réelle et capacité de production est en général < 1, de façon à pouvoir suivre les variations de conjonctures et gérer facilement les arrêts pour maintenance, réfections, et incidents. Ce taux d'utilisation, au niveau mondial, est situé entre 65 et 85%. Il est suivi par worldsteel et se situerait en ce moment au voisinage de 80% (cf. figure 1). Les prévisions de l'OCDE, il y a deux ans, prévoyaient un taux d'utilisation de 72%, donc une situation qui s'est corrigée entre temps.
figure 1: taux d'utilisation des équipements sidérurgiques
dans le monde au cours des 30 dernières années
(source OCDE, 2010)


La production d'acier en Europe, sur les 20 dernières années, montre une croissance annuelle de 1,5 % de 1990 jusqu'en 2007, puis un effondrement en 2008/2009, d'environ 50%, et une reprise de 25% qui laisse l'économie 25% sous le niveau d'avant la crise (176 Mt en 2011). Il est intéressant de noter que la production de produits plats, essentiellement issue de hauts fourneaux en Europe, est restée stagnante, alors que la croissance s'est effectuée en produits longs, donc par la filière du four électrique

Une telle chute, même après la reprise qui a suivi, dépasse très largement un à-coup conjoncturel et relève de la crise économique majeure. Donc un évènement de nature cataclysmique, dont la durée est difficile à prévoir et qui cache probablement un changement profond dans la nature de l'économie qui n'a pas encore été clairement analysé ou identifié à ce jour. La question de savoir à quel niveau remontera la production lorsque la crise sera résolue est donc particulièrement difficile et celle de la date de fin de crise n'est guère plus facile !

Imaginons néanmoins un retour à la situation quo ante. La surcapacité de production apparente actuelle ne serait dans ce cas que provisoire. Comment gérer le passage entre la situation actuelle et cet avenir plus radieux ? On peut fermer des usines et en reconstruire des neuves plus tard ou bien mettre les usines sous cocon et le personnel au chômage, technique ou définitif selon la durée de la crise ou compter sur les importations pour répondre à la remontée de demande.

Figure 2
S'ajoute à cela le progrès technique et les gains de productivité, de l'ordre aussi de 1,5 % par an pour faire simple, qui permettent de suivre la croissance de production observée en période de régime permanent sans construire globalement de nouvelles capacité de production. En fait, il faut fermer régulièrement des usines intégrées (2 Mt de capacité par an) et construire tout aussi régulièrement des fours électriques.

Arcelor avait lancé à la fin des années 1990 un plan dit Apollo, qui prévoyait de fermer les usines de Florange, Lièges, Brême et Eisenhüttenstadt, soit environ 10 Mt de capacité sur une période de 8 ans. Il faudrait analyser la stratégie de cette époque pour comprendre exactement les hypothèses de cette démarche : il y avait d'une part la volonté de proposer un plan stratégique sur le long terme et de s'y tenir, dans le but de maîtriser la cyclicité des marchés dans le secteur acier par les vertus d'une certaine transparence ; une certaine arrogance d'Arcelor dont la taille lui donnait la responsabilité à lui seul de réaliser la réduction de capacité liée à 5 ans de gain de productivité de toute la sidérurgie européenne, alors qu'il ne représente que 20% du marché. Probablement aussi, était prévue une réduction et non un maintien de la production et des objectifs financiers vis à vis des investisseurs et des banques étaient en cause.  La prise de contrôle d'Arcelor par Mittal a conduit à abandonner le plan Apollo, à la fois parce que la conjoncture s'annonça bien meilleure qu'attendu dans les années 90 et afin de séduire les pays menacés de fermeture, la France, la Belgique, la Basse Saxe et le Brandebourg, en présentant l'OPA de Mittal comme une solution pour préserver des emplois et maintenir un activité économique locale.

Toute référence aujourd'hui au plan Apollo, conçu il y a au moins 15 ans, relève d'effets de manche et non d'une discussion économique serrée. Le paysage géopolitique de la sidérurgie a trop changé pendant cette période pour que les raisonnements d'alors puissent être repris tels quels maintenant !

Si on poursuivait avec une analyse plus fine à l'échelle de chaque pays européen, comme le fait le rapport Faure, on verrait que la production d'acier s'est mieux redressée en Allemagne (retour au niveau d'avant la crise) que dans les pays plus durement touchés par la crise, où, de surcroit, l'industrie est moins bien représentée dans le PIB. C'est le signe que la production d'acier est en partie contrainte par les frontières nationales.  Cela ne donne cependant pas licence à raisonner en termes de capacités de production nationales, car les échanges commerciaux entre pays de l'Union restent essentiels.

Quand est-il licite de parler de surcapacité - ce que beaucoup de gens se hâtent de le faire en ce moment ?  Il y a certes trop de capacité de production d'acier, hic et nunc, par rapport à la demande actuelle, mais cela a été corrigé en arrêtant (idling) de nombreux hauts fourneaux (11 sur 35 dans AM en ce moment). Faut-il pour autant les arrêter définitivement ? Tout dépend des paris ou des projections que l'on fait sur l'avenir et de la capacité qu'on aura de redémarrer les usines à l'arrêt, une question à la fois technique et humaine (compétences). Suivant les réponses, il y a ou il n'y a pas de surcapacités.

Ma prudence voudrait qu'on choisisse de dire qu'il n'y en a pas. Mais maintenir à l'arrêt des installations a un coût et une entreprise ne peut les assumer que dans une certaine  limite, d'euros, de temps, de capacité à redémarrer.

On peut aussi s'interroger sur la meilleure stratégie pour être en mesure de redémarrer : elle impliquerait peut-être plutôt de maintenir un plus grand nombre de HF en service, mais à un plus bas taux d'utilisation : il va de soi que si une usine est complètement arrêtée et le personnel éloigné des ateliers par des licenciements secs (comme cela est possible aux États Unis) ou des mises en chômage partiel fortement subventionné (comme en France), elle pèse moins sur les coûts de l'entreprise, une vision immédiate et à très court terme qui peut l'emporter par rapport à une vision stratégique à plus long terme dans la logique d'un opérateur.

3. De toute façon, l'Europe est entrée dans une économie circulaire qu'il faut renforcer. Les hauts fourneaux sont condamnés (donc ULCOS était une mauvaise idée, sic!), et ce qu'il faut c'est renforcer le recyclage de l'acier (Noël Mamaire, France 2)

Cette affirmation n'est absolument pas vraie à l'échelle du monde, car la durée de vie en œuvre de l'acier, comprise entre 30 et 40 ans, est très supérieure à l'explosion récente de la production chinoise, donc mondiale (une 15 aine d'années).  Il est donc impossible de répondre à la demande à partir d'acier recyclé.

Au niveau de l'Europe, à supposer qu'on puisse l'isoler du reste du monde (ce qui revient à faire l'hypothèse que le solde des échanges de ferrailles sont petits par rapport à la génération annuelle), on pourrait par contre fonctionner avec des niveaux plus élevés de recyclage : les sidérurgistes, qui pensent et affirment que le taux de recyclage est supérieur à 80%, n'assument pas la réalité, compte tenu des exportations, et doivent imaginer des taux de recyclage trop élevés (80% au moins, contre 50-60% au mieux), ce qui signifie soit qu'on ne recycle pas au niveau attendu, soit que le bilan des exportations de fer est mal décrit et mal pris en compte. Quelle que soit la réponse, il est indispensable de faire les études correspondantes (MFA), une bonne fois pour toute.

Approfondir ces points est important, car c'est ainsi qu'on doit traiter de la question de savoir si il existe trop de hauts fourneaux en Europe par rapport aux fours électriques.

Se rappeler que dans les années 1990, c'est sur la base de raisonnements de ce genre que les HF de Gandrange ont été fermés et remplacés par des fours électriques (les historiens devront se pencher sur la question, s'ils retrouvent les bonnes archives : le dossier d'investissement de Gandrange était d'une pauvreté absolue et relevait d'un sophisme énorme, pas très différent de celui sur lequel Mittal base la justification de la fermeture de Florange aujourd'hui; l'IRSID avait aussi signé un document prospectif, proposant une approche de type MFA avant que ce concept n'ait été formalisé dans le monde scientifique, mais les données utilisées étaient notoirement fausses...!).

Mon intuition aujourd'hui est, qu'en effet, on devrait remplacer une partie des HF par des filières électriques. Vaste chantier, que personne n'a réouvert récemment, à ma connaissance !

PS. on n'oubliera pas non plus que Gandrange (son aciérie électrique) a fini par être fermé par AM, dans une logique qui rappelle exactement celle de Florange.  Là aussi, les historiens devront venir à la rescousse, pour échapper aux polémiques. La fermeture relevait d'un besoin et d'une volonté de réduire la capacité de production de produits longs en Europe (alors que l'usine de Gandrange avait été construite avec un raisonnement à plus petite échelle, l'échelle française, et donc une inadéquate par rapport à la "bonne échelle", l'échelle européenne). Choisir Gandrange, par contre, relevait de querelles internes à AM, où le lobby interne allemand a défait le lobby français avec le soutien du lobby luxembourgeois - victoire à la Pyrrhus puisque maintenant, non seulement Gandrange est fermé et quasiment oublié, mais les usines luxembourgeoises d'AM sont aussi en partie arrêtées en attendant de l'être toutes, avec le siège emblématique du centre ville.

4. S'il faut réduire les capacités de production de la filière intégrée, pourquoi choisir Florange (et Lièges) parmi les usines d'AM et pourquoi faire peser l'essentiel de la réduction de capacité sur AM et non pas la partager, par des moyens à définir, entre les différents producteurs européens ?

Les considérations précédentes montrent à l'envie que même avec une Europe qui tient son rang d'économie vivante dans le monde, même avec un marché sidérurgique en légère croissance, une réduction des capacités de production sur le long terme, pour l'ajuster à la demande régionale, en particulier en matière de production primaire ex minerai et hauts fourneaux, est inscrite dans le trame historique et il faudra en passer par là - c'est la résultante du progrès technique au sens large. La seule contre-politique consisterait à produire pour exporter, une espèce de modèle allemand étendu à l'échelle de l'Union européenne, soit en direct sous forme d'acier soit sous forme de produits manufacturés contenant de l'acier: challenge important, qui n'est repris par personne aujourd'hui à ma connaissance.

Donc, nous admettons le douloureux, la réduction du nombre de hauts fourneaux. Mais quels fourneaux faut-il fermer ?

La théorie économique indiquerait que ce sont ceux qui perdent de l'argent qui devraient fermer en premier.  Mais la question est complexe, surtout si on veut la traiter avec des idées simples, compte-tenu de l'accès impossible aux données qui restent cachées dans les fichiers hyper-confidentiels des entreprises ! Même les syndicats d'AM qui ont connaissance de beaucoup  de données économiques confidentielles (mais pas toutes !), n'y arrivent pas ! ou alors concluent que Florange est un site rentable, comme l'a fait le gouvernement français et le rapport Faure, alors qu'AM dit le contraire.  Choc absolu de logiques exclusives les unes des autres, que l'on résume, sans rien expliquer, en disant que c'est une affaire politique !

Quelques éléments de compréhension, mais sans exhaustivité, car nous n'avons ni les moyens ni le temps de rentrer dans une telle analyse.

La notion de rentabilité d'un site est une notion relative, datée, qui dépend lourdement de l'histoire, mais aussi de la chaine de valeur à laquelle il participe, et, plus généralement de la santé financière de la société qui le possède et de l'état de l'économie : oulala, ça fait beaucoup de facteurs, qui laissent une place indécente à des déclarations contradictoires à l'infini des uns et des autres !!

Notion relative d'abord : un site est moins ou plus rentable qu'un autre, mais il ne perd pas nécessairement de l'argent. Maximiser des profits, ce n'est pas équivalent à réduire des pertes !

La notion est aussi datée : ainsi, Florange, qui a été parmi les sites d'AM les plus rentables en Europe (dans le premier tiers), ne l'est pas nécessairement aujourd'hui.  En outre, comme on ne consolide pas les profits à l'échelle de chaque site, mais d'une business unit, on peut aussi s'interroger sur le sens qu'aurait l'expression gagner ou perdre de l'argent à l'échelle d'un site (comment relocaliser les coûts mutualisés ?). 

Enfin, on peut aussi se rappeler que la sidérurgie est une industrie cyclique, qui créait et détruisait de la valeur, alternativement, dans la période des 40 piteuses : AM a semblé un temps sortir de cette malédiction du métier en affichant systématiquement des profits depuis sa création, au point de n'avoir plus la volonté ou la capacité d'encaisser des pertes annuelles récurrentes sur plusieurs années: en effet, la valeur de la société a été divisée par 5, et AM est très endettée, alors que ses avatars européens précédents, privés ou nationalisés,  avaient encore des ressources financières propres (même quand c'étaient celles de l'état) et la capacité de lancer des augmentations de capital. 

La notion de rentabilité dépend de l'histoire : si je construis l'usine la plus moderne du monde, c'est-à-dire celle qui a les prix de revient les plus bas, et que je néglige d'en assurer la maintenance et d'y incorporer régulièrement le progrès technique incrémental, elle cesse d'être exemplaire et descend peu à peu dans l'enfer des sites de moins en moins rentables. Je peux aussi l'alimenter en matières premières de mauvaise qualité (donc de valeur d'usage inférieure), lui vendre lesdites matières premières à des coûts de cession qui ne reflètent pas la valeur d'usage, racheter les produits à des prix conventionnels sans rapport direct avec les prix du marché (pour générer les profits dans un pays choisi pur des questions d'optimisation fiscale), etc; cerise sur le gâteau, on peut ne pas faire tourner les installations qu'à capacité réduite (un fourneau au lieu de deux, par exemple, comme à Florange ; arrêts intempestifs des installations, pour coller à la conjoncture, ce qui désorganise l'usine, cas de Fos-sur-Mer aujourd'hui), ce qui augmente les coûts fixes, ou ne pas investir dans des équipements essentiels (comme des moteurs diesels pour récupérer l'énergie des gaz de haut fourneau) sous le prétexte qu'avec ULCOS, ces équipements ne seront pas utiles - ce qui est vrai à condition qu'on fasse ULCOS. La position de Florange aujourd'hui, dont la rentabilité en matière de coûts fixes n'est pas bonne, relève de cette logique : on a chargé la barque, comme disent les financiers, pour que le site périclite, comme on avait fait péricliter le site de Gandrange.

La rentabilité dépend de la chaine de valeur : si une usine produit seule un acier à succès et très rentable (l'USIBOR, par exemple), sa rentabilité dépend largement de l'aval de sa chaine de valeur.  Florange a l'exclusivité de la production de cet acier, bien protégé par des brevets et que les concurrents ont du mal à imiter, et bénéficie donc d'un atout extraordinaire. C'est pour cela qu'AM ne voulait pas que le site complet soit vendu ou nationalisé, car le transfert de production sur d'autres sites, à Gand par exemple, est en cours mais encore non maîtrisé. On a ainsi introduit une séparation entre usine à chaud et usine à froid - un concept TRES discutable, car basé sur des raisonnements de coût de revient très étroits, étriqués et tendancieux, qui permet de fermer les HF et l'aciérie, déclarés pas rentables, mais de garder le froid, déclaré  très rentables et, mieux, hyper-stratégique, en attendant que la production en question ne soit relocalisée dans un site mieux assuré de son avenir.

On aussi mentionné la santé financière de la société, donc sa capacité à affronter de gros grains économiques.  AM dépend beaucoup des marchés financiers pour financer sa dette et la refinancer (23,2 G$ fin septembre 2012), dans la mesure où elle a distribué  tous ses bénéfices sous forme de dividendes et qu'elle n'a pas procéder à des augmentations de capital, depuis sa création. D'où l'importance des agences de notation dont les trois principales (Moody's, S&P's et Fitch Ratings) ont placé le titre dans les junk bonds, ce qui conduit à des taux d'intérêt de 9% (contre 4,5% en mai 2012). La stratégie actuelle consiste à vendre des actifs, particulièrement dans le domaine minier où le groupe a investi massivement et avec une grande légèreté, et il prévoit de réduire ses dividendes l'année prochaine ( de 0,75 à 0,20 $/action).  Noter aussi que le groupe a déprécié de 4,3 G$ les écarts d'acquisition de ses filiales européennes le 21/12/2012, signe qu'il prend acte du fait qu'Arcelor a été acheté beaucoup trop cher. On ne peut donc espérer faire du cash en vendant des actifs sur le vieux continent !

Enfin, il y a l'état de l'économie et la nature de la crise qu'elle traverse. On en a déjà largement parlé. On pourrait cependant ajouter que la sortie de la crise relève aussi des entreprises et qu'on pourrait imaginer que celles-ci prennent des mesures susceptibles d'accélérer le processus, pas de le plomber : je suis plutôt keynésien et je crois que la demande relève aussi des politiques des entreprises.

En dernière analyse, les entreprises décident en leur for intérieur et sans critère avoué ou avouable, des sites qui vont survivre et de ceux qui vont périr. Pas grand chose à voir avec une rentabilité qui serait absente ici et sur-vitaminée ailleurs. C'est le pouvoir régalien du chef d'entreprise qui est en jeu. Il prend ses décisions sans s'appuyer exclusivement sur l'économie.  Il le fait à partir d'un jeu de contraintes très large, en connaissance de cause... ou pas. 

Dans le cas de Mittal, qui est entouré d'un cercle rapproché de conseillers à qui le courtisianisme n'est pas étranger, qui craignent le chef et qui représentent des lobbies internes (le lobby flamand avant tout), il n'est pas certain que le grand patron ait complètement conscience des manipulations qui sont en cours : cela a-t-il d'ailleurs la moindre importance, dans la mesure où jusqu'ici la méthode a semblé fonctionner ?

En résumé, parce qu'il faut très probablement (= c'est ce que presque tout le monde dit) réduire le nombre de HF en Europe, qu'AM, le plus gros des sidérurgistes, ne peut guère espérer échapper à cette tendance lourde, autant prendre les devants et décider de ceux qu'on va fermer dans sa propre entreprise. On choisit deux sites au hasard - ou presque, pour minimiser les ennuis, pas pour maximiser la rentabilité de l'ensemble : exit les sites continentaux français (Florange) et belges (Lièges) - on ne touche pas aux sites continentaux allemands, serbes, tchèques, polonais (?) etc ; et on ne discute pas des sites des concurrents qui tous ne sont pas situés eu bord de la mer, voir Linz et Duisburg. On a prévu le coup de longue date et on a favorisé sur la durée le site qu'on va privilégier, à savoir Gand : c'est de la stratégie sur le moyen et long terme, qu'on met en oeuvre en lui attribuant les meilleures matières premières mais aussi en peuplant FCE presque exclusivement de dirigeants issus de cette usine.  CQFD.


5. Et ULCOS dans tout cela ? La question a-t-elle même sa place par rapport à ces jeux de puissance qu'on vient de décrire, où l'environnement tient si peu de place ?

ULCOS c'est, c'était, un programme pour réduire l'empreinte carbone de la production d'acier en Europe, dans AM et dans le monde. 

Le changement climatique, dans un contexte de déni, de désintérêt et d'impuissance générale, reste un marqueur inexorable de l'avenir. On a atteint 391 ppm de CO2 en novembre 2012, alors que l'on parlait encore auparavant de 387 ppm. Les prévisions pour 2050 sont d'une augmentation de température  de 2°C (le seuil qu'il ne fallait à aucun prix dépasser en 2100) et, en 2100, de 4 à 6°C, peut-être beaucoup plus, car les modèles prédisent mal cette zone d'explosion des concentrations dans laquelle on a pénétré.  L'avenir est très sombre, pire même que sombre, mais on parle d'autre chose dans la vie politique comme dans les entreprises. 

ULCOS a eu l'heur ou le malheur de croiser le destin de l'usine de Florange. On y trouvait en effet un HF, sur lequel pouvait être testé rapidement l'une des technologies inventées par le programme ULCOS - ULCOS-BF - qui redonnait au site un avenir indiscutable : la technologie et la logique de l'économie carbone allait redonner à Florange un avantage compétitif clair et facile à expliquer. 

A Bruxelles, les Eurocrates lancent une machine à subventions destinée à encourager le CCS, la technologie mise en avant dans ULCOS-BF: plusieurs dizaines de milliards d'euros seraient distribués par ce canal (le programme NER 300). Hélas, la politique a ses règles, ses ambiguïtés et ses compromis et les règles de ce programme sont bizarres : les subventions, attribuées par concours, ne seront versées qu'après que le programme ait réussi. Les industriels lauréats doivent donc avancer l'argent sur une période 10 à 15 ans (100 millions de frais financiers à assumer, hors subventions, sur un budget de 500 millions !) et assumer les risques d'échecs total ou partiel.  Le système est "assuré" sur la vision d'une valeur à terme du carbone qui permettrait de "se refaire", mais depuis le lancement du programme, la valeur du carbone a été divise par 3 et rien n'indique qu'elle va remonter à horizon visible. Par ailleurs, il est financé par des droits d'émissions dont la valeur s'est effondrée dans les mêmes proportions, ce qui fait que la Commission dispose d'un budget de financement réduit à une peau de chagrin.

ULCOS concoure en février 2011 dans ce programme (gros dossier de 600 pages préparé par plusieurs dizaines de personnes en environ un an). Il est sélectionné en juillet 2012, mais mal placé compte tenu du nombre de programmes que la commission a les moyens de financer (8ème sur 8 - on peut d'ailleurs exégéser ce classement et l'expliquer par une certaine couardise intellectuelle de la Commission vis à vis des dossiers et des enjeux).  Las, entre temps, tous les dossiers mieux placés qu'ULCOS sont retirés par les entreprises et les états membres qui en sont les porteurs : démonstration éloquente et par l'absurde du caractère ubuesque du programme NER 300. Personne n'a encore décrit un business model réaliste pour le CCS ! 

Fin novembre, le dossier ULCOS-BF est le seul qui reste en lice et la Commission est prête à annoncer le 13 décembre 2012 que le projet est le lauréat unique du programme NER 300 (la décision est publié comme draft sur internet; elle aurait apporté une subvention de 364 M€). Mais, entre temps, AM avait annoncé que les HF de Florange, à l'arrêt, ne seraient jamais rallumés, ce qui rendait la situation complexe : la proximité de dates est en soi intéressante, car l'arrêt pouvait se prolonger encore quelque temps, malgré l'impatience des syndicats, mais l'échéance qui s'annonçait de l'attribution des financements NER 300, allait de pair avec l'engagement de maintenir le site lauréat ouvert pendant 10 ans au delà de 2016. Donc, selon mon interprétation, AM met en route dans le courant de l'été une machine pour fermer définitivement Florange et ne pas être gêné dans les média par l'attribution du programme NER-300 : le jeu consistait donc à justifier la fermeture par la crise et le manque de rentabilité du site et à faire en sorte que Bruxelles soit mise devant le fait accompli et "ne la ramène pas" avec ULCOS.  

Rien ne s'est passé comme prévu par AM. Le gouvernement français a soutenu le programme ULCOS-BF vis à vis de Bruxelles bien qu'AM ait été très explicite sur ses intentions. Puis une lettre destinée à rester confidentielle (la troisième, en fait) a été envoyée  à Bruxelles disant que AM retirait le projet ULCOS-BF du NER 300.  Le gouvernement français avait entre temps négocié avec AM sur Florange et la nationalisation du site, pour le confier à un tandem constitué de CMI et de Severstal, avait été évitée : on a compris qu'AM ne voulait absolument de cette solution, pour cause d'USIBOR, et l'affaire avait été habillée par un discours positif sur ULCOS, trompété par le premier ministre Ayrault lui-même  - je m'y étais moi-même laissé prendre en prenant ses propos à la lettre et en croyant qu'il s'agissait vraiment d'un blanc seing pour ULCOS.  La Commission, hélas pour la com d'AM, publie la lettre destinée à rester confidentielle : tout le monde, dont moi-même, comprend brusquement "qu'ULCOS c'est fini", les partenaires d'ULCOS en particulier aussi (ils auraient apprécié d'être informés à l'avance, mais compte tenu des jeux du plus malin de la com d'AM France, ce n'était tout simplement pas possible !), et le gouvernement français, qui se retrouve en position de benêt berné.  Bref, le pire est arrivé, du point de vue communication, puisque AM s'est retrouvé au centre de polémiques invraisemblables pendant près de deux semaines, alors que le groupe souhaitait régler ces questions au calme et dans la discrétion.

Evidemment, on peut aussi constater qu'ULCOS est une des victimes du processus, peut-être pas la moins importante.  On a annoncé que le projet serait relancé dans 5 ou 6 ans, après que les problèmes techniques non résolus l'auront été. Il pourrait d'ailleurs être relancé à Florange, n'est-on pas à la veille de Noël et il reste des gens qui croient au père Noël ! Vu que tout cela n'a été discuté avec personne de compétent dans AM, on ne peut qu'être dubitatif.  Détail négligeable : il n'y avait pas de problèmes techniques insurmontables à résoudre : comme le dit mon VP, AM est immergé dans un océan de mensonges.  

ULCOS était un effort assez unique pour réduire l'empreinte carbone de la sidérurgie. Le truc est mort et ne sera pas ressuscité avant 15 ou 20 ans, sinon jamais.  Le monde va donc trainer des émissions non négligeables derrière lui, les 7 ou 8% des émissions mondiales dues à la sidérurgie. La sidérurgie va en payer le prix, en terme de taxes carbone et de perte de parts de marché. La valeur de l'action d'AM et des autres va, à terme certes, chuter encore plus bas (noter que le cours a remonté quand l'arrêt d'ULCOS a été annoncé). Je n'oserais pas faire de pronostics sur la fortune de M. Mittal. 

Derrière tout cela, il y a plus d'une centaine de chercheurs, qui ont bossé pendant une quinzaine d'années, et qui se sont fait berner. Cela donne un goût de cendre dans la bouche. Quand la direction d'AM avait exercé son droit de cuissage sur ULCOS-BF en 2008, en le ciblant sur Florange, j'avais été à la fois excité et légèrement dubitatif : les dés sont tombés, nous nous sommes faits rouler ! 

Je crois que c'était là ma dernière aventure de ce genre... Il est temps de tourner la page et de faire tout autre chose, avec un arrière goût, quelque part de retraite. 

vendredi 30 novembre 2012

Florange, clap final ?


C'était une vraie surprise la déclaration de Ayrault à 2131 hier, annonçant la fin de l'histoire de Florange, de l'épisode actuel. Croyez-moi, moi qui rentrais d'une réunion où on avait travaillé sur le sujet à Paris et qui me sentais au cinquantième dessous, avec la perspective d'une galère sans fin autour de l'avenir d'ULCOS...

Le premier ministre a donc annoncé que AM ne ferme pas ses hauts fourneaux de Florange. Ils ne sont pas non plus redémarrés pour l'instant, mais on prépare leur redémarrage, quand la reprise qu'on attend comme sœur Anne arrivera et on va le faire sur la base d'un fonctionnement ULCOS. De toute façon, il n'y avait pas de repreneur sérieux.

 Si on croit à tout cela, si on attend encore quelques détails - du genre que va faire le personnel du"chaud" de Florange pendant cet arrêt qui dure déjà depuis 18 mois, encore du chômage technique ? - on a l'impression d'un superbe compromis, un vrai cas d'école où il n'y a pas de perdants, où l'essentiel est préservé, où on tient compte des réalités et où on regarde l'avenir avec pragmatisme et un brin de sérieux. Ouah, il y a de très bons négociateurs autour du premier ministre !!!

Les gens sont surpris, comme les inséparables syndicalistes devenus des bêtes de TV et le non moins indécrottable Copé, c'est normal, on vient d'inventer quelque chose de vraiment neuf et original, une sortie de crise par le haut. Plutôt une bonne nouvelle qu'une raison de plus de râler... Les râleurs se repèrent assez bien et ne sont pas dans le bon camp!

Le gouvernement évite de faire une incongruité absolue, une nationalisation en 2012, alors que la crise est au plus bas du creux  et qu'il n'y a pas vraiment d'industriel sérieux en situation de reprendre Florange. Il assure les emplois des gens de Florange et il parle du changement climatique en cautionnant une action qui est l'un des trucs les plus couillus qu'on puisse imaginer aujourd'hui. Deux thèmes qui pourront servir de caisse de résonance à l'avenir pour sa com ou mieux, pour son bilan.

Côté AM, les fourneaux de Florange étaient une épine dans le pied. Maintenus en arrêt depuis très longtemps, à grands frais pour l'état (qui paie les indemnités de chômage partiel) et pour le groupe qui maintient les cowpers en chauffe, alors que la crise perdure et que l'embellie ou la sortie de la crise ne vient pas, leur fermeture était inscrite dans un certain réalisme des affaires. C'était aussi un coup de canif ou de sabre dans l'image lisse du groupe sidérurgique. Les fourneaux ne redémarrent toujours pas, personne ne les redémarrerait aujourd'hui !, mais on ne les euthanasie pas non plus. L'encéphalogramme de l'économie n'est pas plat. L'Europe et son économie vont un jour se réveiller!

Côté climat, la perspective de faire ULCOS est une gigantesque bouffée d'oxygène pour ceux qui pensent que le CCS est une solution nécessaire pour sauver la planète. Et une décision formidablement couillue, une vraie première mondiale. Tous les protagonistes pourront s'en réclamer, AM, le gouvernement français, la Commission européenne... et tous les braves gens de la planète aussi.  Là aussi production de bonne image à venir et un grand pas pour l'homme! Accessoirement, un pied de nez à la plateforme ZEP, pour les connaisseurs.

ll va être plus facile demain d'avancer, alors qu'on est certain d'aller dans la bonne direction, dans une direction qui est bonne pour de multiples raisons.

Voilà pourquoi ce compromis est un exemple à enseigner dans les écoles de sciences politiques à l'avenir.

dimanche 25 novembre 2012

La théorie du bordel ambiant...


Entre Moreno et Michael Crichton,  on en a écrit des bêtises théorisant sur la difficulté de gérer la réalité, que d'aucun appèlent la complexité !

Le Monde adore parler de Florange, feuilleton quotidien, où les interlocuteurs d'une confrontation savamment mise en scène échangent en stacatto des petites phrases que la presse reprend en allongeant la sauce pour en faire un sujet qu'on puisse mettre en page. Montebourg a dit que... Sapin répond que... le groupe ArcelorMittal... les élus de Moselle... etc.

Le plus amusant, ou attristant, ce sont les commentaires politiques, qui viennent toujours conclure des informations très brèves, guère plus qu'une petite phrase, au delà desquelles on n'a pas grand chose à dire. Commentaires politiques amenés soit par l'article lui-même, soit par les réactions aussi prétentieuses que bornées et convenues des lecteurs abonnés, les seuls qui puissent répondre en ligne. Tout est ramené à la difficulté qu'a le PS à gérer l'économie en vrille que Sarko lui a léguée avec ces principes de gauche un peu poussiéreux, avec lesquels on fonctionne quand on est dans l'opposition. D'où un galimatias de raisonnements dans lesquels on veut enfermer la pensée stratégique sur Florange, basée sur le prémisse que le site doit avant tout maintenir des emplois. Si c'était le cas, on pourrait se dispenser de faire de la fonte à Florange et se contenter de faire venir les ouvriers au travail pour les payer en fin de mois - une variante du chômage technique, où ils restent a la maison et sont payés, par l'état, 90% de leur salaire.

Hélas, l'économie et ses nombreuses contraintes, comme d'avoir des clients pour les produits qu'on fabrique, est le moteur de la création d'emploi. Ce qui n'empêche pas l'économie d'être au service de la société et pas nécessairement des seuls actionnaires, mais à un niveau de bouclage assez complexe. Zut, tout est vraiment trop complexe, pas facile d'en parler dans des bulles d'info calibrées.

Donc, nationaliser Florange est une belle idée, mais elle ne tient pas debout. Parce que l'économie en ce moment n'a pas besoin d'acier supplémentaire, sauf à trucider les concurrents, ce qu'on ne peut réussir qu'à grands frais. Ou en redéfinissant les usines en service dans ArcelorMittal : ou on ralentit tout le monde pour redonner de la production à Florange, ou on ferme une aure usine qui aujourd'hui tourne à plein, ou on reconquiert des parts de marché, en baissant les prix... les experts comprendront ce dont on parle.

Où est l'optimum par rapport à toutes ces solutions ? Il est clair que la direction d'AM a fait ses choix, mais les critères en sont cachés. Ne pourrait-on pas commencer à en débattre publiquement, amis journalistes, alors que le discours des opposants comme de la presse se contente de reprendre les arguments de l'industriel, sans les reformuler ou les contester à la base ? La politique de prix trop élevés qu'il a pratiqués a fait perdre des parts de marché à Arcelormittal par rapport à ses concurrents : d'où une réduction supérieure de volume de production. Qu'à-t-on maximisé ce faisant ? Un profit immédiat, un profit sur l'année, un profit lissé sur cinq ans ou dix ans ?

Et où se trouve dans tous ces discours la gestion du climat ? Le monde va dans le mur climatique, de plus en plus vite, et sur un débat comme Florange, on parle d'autre chose ! Le menace du climat n'a pourtant plus rien d'une menace fantôme et la proximité du COP18 à Doha, avec ses déclarations liminaires où les scientifiques sortent en primeur de nouveaux résultats et des parties prenantes, comme des banques internationales, annoncent les hypothèses assez effrayantes sur lesquelles elle commencent à travailler, va ré-éalimenter la presse en snipets dont on aura l'occasion de parler.

samedi 17 novembre 2012

nega-énergie, énergie renouvelalbe, etc.

Labeling is not simply a marketing tool, it is also the weapon that various intellectual disciplines use to gain precedence over one another, or more mildly put, to maintain  a lively and stimulating critical and creative approach to new and difficult issues.

Take the diptych of renewable energy and renewable raw materials as an example, the former label being older and more consensually defined than the latter.

Renewable energy

Renewable energy (1) is energy which is derived from an infinite resource (2), as opposed to resources that may run out in a finite future (3). Thus renewable energy is related to the issue of scarcity of resources, to the finitude of nature and, eventually, to time and also the dynamics of the economy.  As an example, solar energy is deemed to be available for ever, even if the sun will eventually die out, but in so distant a future (billions of years) that it is indeed infinite for all practical purposes. On the other hand, fossil energy resources are finite and thus may die out eventually - or not, depending on whether the speaker belongs to the neo-malthusian school of thought or not, thus opening up the connection to economic thinking.

More difficult: are biomass and biofuel renewable sources of energy?

Almost everyone takes for granted that the answer is yes.

This way of thinking, however, is a kind of metonymy, not an "obvious" conclusion. Biomass and biofuel are indeed derived to a large part from solar energy, but only in part. Thus deciding whether biomass is renewable or not is a complex matter: the only obvious statement is that biomass, to some partial extent, is renewable.  The metrics to access the size of "this partial extend" could be LCA, or the subset of an LCA which deals with energy accounting, and it would add up all energy resources needed to make one unit of biofuel, for example: the almost infinite - and thus renewable? - amount of literature written about the LCA of biofuels and the incoherency of the conclusions show that the matter is not settled. It actually, depends on a very large number of issues, like whether the biomass originates from a "renewable" forest, or plantation or agriculture, whether it is a steady-state process or to what extend the land use change that took place initially should be taken on board, how large was the accumulation of carbon, nutrients, oligo-elements in the soil, how much water is used beyond the rain input, etc.

The issue is usually solved by someone taking a decision and classifying something as renewable.  The definition of wikipedia (1) proceeds in this way by listing what resources are renewable. This is akin to a legal way of thinking, where concepts are defined by lists, finite lists in this case.  Whoever takes the decision has been vested the authority to do so by a higher level authority. Again a complex matter and a Pandora box that one should not open here!

Renewable raw material

Incidentally, how do we proceed from the concept of renewable energy to that of renewable raw materials or materials or something else, like logistics?  Biomass is considered rather commonly as a renewable raw material, thus it seems similar to renewable energy, mutatis mutandis.  Renewable raw materials would thus be a raw material resource that is either infinite or is replenishing itself regularly. Thus wood is renewable, with the caveat that wood collected from the Amazon forest has a footprint which is very negative, thus probably not leading to this particular type of wood as being actually labeled as renewable. Anyway, once tress from the Amazon forest have felled, they are gone and more wood will not be forthcoming: thus not really renewable!

In a closed-loop economy, partial or complete, recycled materials are constantly replenishing a secondary raw materials resource.  Thus recycled paper, or aluminum, or steel are renewable materials, alongside wood. Claims to that extent have been made15 years ago.  The statement, for example, that steel is a renewable material is thus not a marketing slogan but reflects reality.

Recycling is often analyzed as resource savings, as compared to the use of primary raw materials.  Recycled materials are thus referred to rather often as secondary raw materials. One may also speak of a nega-resource, in analogy to the concept of negawatts (see further).

Negawatts, nega-energy, nega-resources

Energy savings have been advocated as a negative  recourse to natural resources, thus they have been called negawatts (Amory Lovins of the Rocky Mountain Institute).  This expression was forged in analogy to the habit of the electricity sector of speaking of the power of its facility rather than of the energy spent or produced. Nega-energy would probably be a more appropriate expression in the context of the present analysis.

Nega-energy avoids any kind of "positive" energy use, even of renewable energy. It does not deplete fossil resources and avoids investing in primary energy production; of course, it will incur investment of its own and one of the brakes to its development is the low return on investment of most of its embodiments.  It is similar to secondary raw materials, mutatis mutandis, and thus it could also be called secondary energy resource. 

As nega-energy is similar to renewable energy, in as far as it is constantly replenished, not out of some natrual phenomenon, but out of the way society and the economy function, it would make a lot of sense to consider it on the same footing as renewable energy. This would actually be acknowledging that the biosphere and the anthroposphere are deeply connected and operate in profoundly similar manners.

Take-away messages

Energy savings, or nega-energy, are similar to renewable energy and thus could be considered in a similar way, they could actually also be considered as renewable energy.  This means some lobbying in the scientific community, especially in the LCA community, which is fond of the concept of renewable energy, which is one of the common mid point indicators hat it calculates. At a more political lobbying level, this means that nega-energy should be encourage through subsidies or special feed-in tariffs (4). 

Recycling material, such as scrap but also blast furnace slag, etc., has also the status of a a renewable material.

The key to understanding and accepting this is the industrial ecology concept of the anthroposhere and of industrial/urban metabolism, which analyze what is fluxes and stocks of energy and raw materials similarly, irrespective of whether they stem from nature of from the economy/society. 

******************************************


(1) Renewable energy is energy that comes from natural resources such as sunlightwindraintideswaves and geothermal heat, which are renewable because they are naturally replenished at a constant rate. Wikipedia in English. 
(2) the wikipedia definition of renewable energy, and probably the one that stems from the use of the word renewable, stresses the flux of energy rather than the stock. The connection is that the flux is generated by a stock. Breaking things down further ends up with the concept of nuclear fuel present in the sun, which is first converted into radiation and then ends up on the ground of the earth.  Considering the rather quick way of accepting the concept and using it in the political economy circles, flux and stocks are equivalent at the relevant level of analysis.  In other words, infinite is the same as regularly replensihed, the difference is only a difference in analyzing the same thing.
(3) finitude is related to earth and solar energy comes from outside the earth.  Obvious as it seems, it makes all of the difference between what is commonly considered as non-renewable or as renewable.  The former category originates from the finite planet and the latter from the universe, also deemed infinite although it is not either... If one would allow importing resources from space, in some undefined way, then fossil fuel might become renewable, or iron ore, etc.
(4) renewable energy has become a production sector, which competes with combustion-based electricity utilities to provide electricity to he grid.  Nega-energy has remained at the level of a concept, a balance in energy budget calculations, and probably ought to become more organized in a similar direction to reach the critical level were is lobbying voice would be heard.  Off-gas rich in latent heat, for example, belongs to this category of nega-energy objects.

mercredi 14 novembre 2012

Bonjour, père Ubu!

La Commission européenne fait fuiter l'information selon laquelle c'est le projet ULCOS de Florange, qui arrive en tête du concours européen NER 300 pour des démonstrateurs de capture et stockage de CO2 (CSC). L'enjeu est un cocktail de subventions se montant à près de 500 M€ et qui couvre 93% du coût de l'opération selon certains calculs.

ArcelorMittal monte en ce moment même une machine de guerre pour refuser ces subventions sans perdre la face.

Par ailleurs, à la recherche d'ArcelorMittal, qui est assez directement à l'origine de ce succès,  on a interdit tout déplacement ayant un rapport direct avec la recherche : seule l'assistance technique, c'est-à-dire une utilisation dévoyée des forces de R&D, donne droit à des autorisations de voyage. Il m'a fallu plusieurs mails hier, assortis de remarques humiliantes, pour être autorisé à utiliser un véhicule du parc automobile du laboratoire pour me rendre à une réunion de travail en région parisienne, dont le but est de ramener 1 million d'euro - seulement, voudrais-je ajouter - dans les caisses de la R&D. Coût du déplacements pour 2 personnes, environ 100 €!

À Florange, l'équipe projet qui a préparé le dossier NER 300 au plan technique du bureau d'étude, a commencé son compte a rebours avant sa dissolution finale (J - 135) et recherche des solutions de survie en allant chercher quelques millions de subventions dans la poche des partenaires du consortium ULCOS, dérisoire chimiothérapie pour prolonger une agonie!

Père Ubu, qui est ressuscité dans notre beau monde de ploutocrates, bienvenue chez nous !

lundi 12 novembre 2012

Le piège des blogs...

Les blogs sont des commentaires des derniers événements ou des derniers commentaires à avoir fait le buzz. Couche sur couche de commentaires, de clins d'oeil derisoires et éphémères  à des discours qui seront si vite oubliés.

La pensée doit-elle aller à ce rythme endiablé, comme si la vie était un jeu de balle, dont la balle toujours en mouvement est le cœur ?

dimanche 11 novembre 2012

Crises 101 -continuing...

Famous last words... Les grandes crises en sont rarement une.

Elles résultent d'un changement profond, majeur, d'une rupture de paradigme économique et sociétal.  Michel Rocard vient de le réaffirmer dans un bel interview au Monde daté du dimanche 11 novembre.

On est tous d'accord avec cela. Mais quel est le paradigme dont on parle cette fois ?

Pour rappel, en 1974, il ne s'agissait pas d'une crise pétrolière, comme dit alors, mais de la fin des 30 glorieuses, donc de la reconstruction de l'Europe après la guerre. Cette guerre étonnante qui avait résolu la crise précédente, celle de 1929, puis a assuré 30 ans de croissance économique tirée par l'Europe et a achevé d'asseoir les États Unis au pilotage du Monde. Le relais de croissance a mis 30 années à se mettre en place avec la société de consommation de masse et ses besoins de réduire ses coûts régulièrement, donc passant la main petit a petit aux pays à bas coût de main d'œuvre.   En 2008, la crise n'était pas celle des subprimes ou de la sphère financière... on en revient a la questiJen déjà énoncée.

Le changement en cours, c'est peut-être le retour en position d'acteurs majeurs des régions, des pays, des cultures qui ont joué un rôle essentiel dans l'histoire, mais qui ont été soumis, marginalisés, paupérisés par l'expansion européenne, son colonialisme et sa définition de la civilisation, science, technologie, progrès social et démocratie inclus. Ne pas oublier, qu'en l'an 100, deux villes dépassaient un million d'habitants, Rome et Pékin. Et que jusqu'en 1500, la région la plus riche du monde, en PIB reconstitué, était la Chine.

Reviennent aux premières loges l'Amérique du Sud, pas complètement européenne bien qu'elle parle deux langues européennes, la Russie, éclipsée récemment par l'échec du communisme, et l'Asie du Sud Est et le Moyen Orient, arabe, persan et turcophone - pas l'islam ou une autre religion. De grands ensembles culturels héritiers d'un passé très riche et complexe.

Évidemment, on peut appeler cela la mondialisation. On pourrait aussi parler de la fin de l'hégémonie coloniale et post-coloniale de l'Europe. Ou dire qu'il s'agit de deux façons d'analyser le même phénomène : mais parler de mondialisation, c'est en rester à la sphère économique et donc laisser entendre que les remèdes sont du ressort de l'économie, ou de la politique ordinaire qui parle avant tout d'économique.

Si on reconnaît l'explication la plus large, il faudrait procéder à un certain nombre d'aggionamento intellectuels. Par exemple, laisser ces cultures entrer au conseil de sécurité de l'ONU. Mettre sur en chantier - pour le XXII ème siècle ? - une redéfinition des nations, des frontières... Se demander aussi si la notion d'une nation impériale, qui gouverne de facto le monde entier comme le font encore un peu les Etats Unis après les tentatives de l'Allemagne, la domination de l'Angleterre après celle de la France des Bourbons et de Napoléon et de l'Espagne des Habsbourgs, gardera un sens ou en a encore un.  On fait de mauvais procès à la Chine en la soupçonnant de volontés hégémoniques qui ne sont pas du tout sa façon de pense,r me semble-t-il.

Repenser la démocratie, une idée moins européenne qu'il n'y parait puisque c'est un leg de la Grèce antique, à une échelle plus globale et moins ciblée sur des intérêts nationaux et régionaux.

Et peut-être redonner à des langues non-indoeuropeenne droit de cité : le chinois est bien route d'y parvenir, après l'échec du Japonais, mais quid de quelques langues indiennes d'Amérique du sud, indiennes de l'Inde, de l'arabe, du turc, du parsi ? Bien sûr, certaines de celles que j'ai citées sont indoeuropéennes...

Au niveau national, où le pouvoir va demeurer encore longtemps, il faut s'organiser pour accepter de faire la place à ces autres cultures sans recourir à des guerres ou des artifices de prise de pouvoir imposés aux autres, aux étrangers, aux barbares. Donc, plutôt que de dénoncer par la bouche des syndicats le dumping social des autres, dénoncer le "dumping" de niveau de vie et d'intensité énergétique (de matières premières, etc.) des pays riches - principe qui a organisé le monde pour que les pays à bas salaires livrent aux pays riches les produits qu'eux-mêmes ne peuvent se payer - dans les sphères industrielle et agricole!

Une des conséquences de cette rupture de paradigme est la paupérisation d'une partie de la classe moyenne des pays riches et le renforcement de la richesse des ploutocrates.

Il faudrait donc penser de nouvelles formes d'état providence (la seule vraie raison d'être des états ?) comme des allocations pauvreté complétant ou remplaçant l'allocation chômage.  Cf. les revenus citoyens des doctrines post-socialistes, comme l'économie distributive de Jacques Baudouin.

Et aller chercher dans la poche des riches l'argent qui s'y trouvent. Les états de nos sociétés laïques sont là pour organiser cela, mais les religions ne pourraient-elles pas aussi parler dans ce domaine ? Ca s'appelait la charité, l'aumône, dans les religions issues de la Bible mais aussi du Boudhisme. Pas nécessairement le don à des fondations richissime et donc le droit de choisir comment l'argent qu'on veut soustraire au fisc sans le garder pour soi est utilisé ?

Etc, la boite à idées et la machine à repenser les choses sont prêtes à tourner à plein régime...










dimanche 21 octobre 2012

Choosing a new Secretary General for ESTEP


I am a candidate for the job of secretary general of ESTEP.  I therefore believe that a few words about the way I see that job might enlighten ESTEP's membership.

First of all, following on the steps of Jean-Claude Charbonnier and Bertrand de Lamberterie will in itself be a big challenge.  The first Secretary General has given birth to ESTEP, after participating in its conception, and raised the child until it became a healthy youth. The second SG has reinforced ESTEP and pushed it into adulthood along new paths, of which the SPIRE initiative is a brilliant example. Both have efficiently and smoothly run a complex organization based mostly on the voluntary participation of its members.

Today, the originality of ESTEP, among the 36 European Technological Platforms, is that  as one of the early platforms it has accumulated invaluable experience.

ESTEP is a tool for dialoging with the EU Commission and helping it build its research agenda.  Its mission is to formulate  a vision of the future of the steel sector in terms of technological change in order to foster the growth, competitiveness and sustainability of the region.  Moreover, that growth should be "smart, sustainable and inclusive".  The vision should be translated in terms of a research agenda for the steel sector projecting at least until mid-century and this SRA turned into research programs and projects, carried by ESTEP's membership and empowering members to lead the change.

ESTEP's membership includes steel and its value chain.

Moreover, ESTEP has established connections with other industries that produce core commodities, those that are embedded in almost any artifacts of modern life, what used to be called called "heavy industry", then "energy and resource intensive industry" and now, more neutrally, process industry - most notably in A.SPIRE.

This is what should be managed in the next few years, to keep it working and moving forward with thrust and momentum.  And to use it as a laboratory for exploring new ideas, new threats, new opportunities and new challenges in order to come up with a renewed vision, when the crisis will have waned.

The challenge is high. Because the steel industry in Europe is diverse, composed of global and regional corporations.  Because growth has deserted Europe and it is not clear when and how it will come back. Because society stakeholders are not yet all fully convinced of how unique, essential, irreplaceable, enduring and cumulative, for ever changing and providing new properties and functions our material is.
Because the strong plant designers and manufacturers based in Europe have their main customers overseas. Because our future is for us to write!

ESTEP is one of the ways to help write our future, in a collective manner.

Another challenge is our connection with the Commission.  On the one hand, the Commission is responsible for defining legislation, which sometimes raises issues for business.  On the other hand, the Commission endeavors to project a vision of our collective future towards the second half of this century and gives us an opportunity to be part of the construction of this future, something that is rare in our daily professional life.  Exchange at this level cannot be angelic nor simple.  What is important is to make sure that there is indeed an exchange, that one party is not pushing a purely intellectual or bureaucratic vision!

The last challenge is that of running a collective organization, which is composed of strong and powerful members, and still help it keep a strong personality of its own; of balancing centrifugal and centripetal forces....

The Secretary General's job is not to provide answers to all these questions, but to help the organization and its Chairman do it.

I believe that I can do this job, for several reasons.

I understand the inner working of the industry at a detailed level, both technological and economic/business. I am familiar with the European ecosystem, having played various roles in ESTEP and RFCS and run very many research programs myself, including fairly big ones like ULCOS. I am a convincing speaker and I can lead teams forward through complex issues and with a sense of collective imagination.  I have accumulated experience over years and I feel at the top of my abilities, as creative as ever.  I also feel multicultural - as a matter of fact I have taught intercultural management at the University.

What is particularly appealing in this role is that steel is one of the invariants of our societies, that it provides a kind of ecological service to the anthroposphere and has to continue doing it for a long time. And the fact that Europe is the strongest region in the world in terms of GDP, of the well-being of its people and, surprisingly enough, of consumption of steel per capita.  In spite of its current pessimism and of the depth of the crisis in which it is lingering.

samedi 20 octobre 2012

Florange, le canard boiteux ?


La future Banque publique d'investissement, qui doit ouvrir ses portes début 2013, apportera-t-elle son soutien à l'aciérie ArcelorMittal de Florange qui vient d'annoncer la fermeture de ses hauts fourneaux ? Réponse de son futur président, Jean-Pierre Jouyet, sur Europe 1 : "La BPI aura vocation à maintenir l'activité et non pas à aider les canards boiteux". (site france info, LE VENDREDI 19 OCTOBRE 2012 À 11:28)

Pas sympa pour les canards, cette expression de canard boiteux, qui désigne celui qui sort de la norme, dont on a honte, le clou qui dépasse, le vilain petit canard !

Florange sort-il donc de la norme ?

Question pertinente et intéressante.

Il y a dix ans, quand Arcelor faisait de la stratégie, Florange sortait de la norme de façon évidente. On prévoyait une surcapacité de production d'acier en France et en Europe et on avait prévu de tirer un trait sur les usines au coût de production le plus élevé, donc celles qui n'étaient pas au bord de la mer - ou du Rhin : cette vision stratégique portait le nom de plan Appolo. Florange et Lièges étaient ainsi sur la liste noire des sites à euthanasier.

Quand Mittal est arrivé, porté par la vague de renouveau de la sidérurgie, que tirait le réveil sismique de la Chine, le plan Appolo est parti au placard, car toute tonne produite était absorbée par le marché et les sidérurgistes avaient transformé toutes leurs usines en machines à cash.  Preuve d'ailleurs, que la vision d'une contraction du marché européen n'était pas pertinente, hic et nunc.

Dix ans plus tard, l'économie est en crise profonde, majeure, durable, et les besoins d'acier sont tombés de 25% en Europe et de 50% en  France. Les usines sont donc à l'arrêt et Mittal annonce la fermeture définitive de certaines d'entre elles. En expliquant que cela va de soi... Il applique donc le plan Appolo, dix ans après qu'il ait été conçu, et en expliquant qu'il allait tout autant de soi de l'ignorer à l'époque de sa mise au placard.

Mais rien n'est évident, hélas ou fort heureusement.

Premièrement, l'acier n'est pas un matériau ringard. Voir un blog précédent.

Deuxièmement, l'usine de Florange n'est pas un canard boiteux. L'idée qu'une usine doive être au bord de l'eau, à quelques encablures des mines de fer mesurées en dollars de freight, c'est ça l'idée ringarde, ou, plutôt, une idée qui a fait son temps parce que d'autres modèles sont apparus : celui de produire des aciers de haute couture, de luxe, de haut de gamme dans un site proche de ses clients et pas de ses matières premières. La spécialité en opposition à la commodité. En outre, si l'historique deverminé des prix de revient de cette usine par rapport aux sites côtiers étaient accessible en public, on verrait que Florange s'est situé dans les 3 meilleures usines du groupe en termes de prix de revient.  Ça veut dire que le site était rentable, ce qu'a redit récemment le rapport Faure.

Troisièmement,  pour des raisons que seuls des historiens pourront expliquer, Mittal à cessé de croire à Florange. Les tableaux de bord se sont chargés d'opacité, avec des prix de transfert des matières premières à coûts fixes, maximaux et identiques pour tous les sites rendus au porc maritime, et des prix de cession tout aussi uniformes, pour réaliser de l'optimisation fiscale - c'est à dire domicilier les plus values là où l'impôt est le plus bas, entre Luxembourg et Bahrain. Les bénéfices sont mutualisés au niveau du groupe, qui les réaffecte selon son bon plaisir, et la partie qui est ré-attribuée  aux sites ne l'est plus en fonction de leurs mérites propres. Par exemple, les investissements de maintien de l'outil de travail et maintenant la simple maintenance sont au point mort. Par la vertu de ce mécanisme pervers, certains sites vieillissent vite, comme jadis Gandrange et maintenant Florange. En quelques années, un site phare devient ainsi un destructeur de valeur. D'un coup de baguette magique, un site rentable cesse brusquement de l'être, en un clin d'oeil! Magie au sens propre, parce que les mots prononcés par le patron suffisent à basculer dans cette nouvelle réalité. La preuve, c'est que personne ou presque ne la conteste!

Quatrièmement,  il y a la crise, cette crise qui n'est pas près de finir, ni à l'échelle du temps de la bourse, qui examine chaque trimestre les performances (métaphore sportive) des entreprises, ni à celui des emprunts qu'il faudra refinancer par exemple dès 2014. Dans ce contexte difficile, impitoyable, il faut survivre, si c'est possible, et cela implique de se mutiler, de s'amputer, de couper des branches, de ne conserver que des rameaux vivaces. Peut-on le faire avec vision, originalité, sens de l'avenir ou doit-on se raccrocher à des concepts mûrs, au risque qu'ils soient dépassés et même déjà vidés de toute substance ? La seconde option est rassurante, plus facile, plus parlante pour les banquiers, les parties prenantes dont on a besoin à court terme ? Choisit-on de tuer Florange, parce qu'elle n'est pas au bord de la mer, déclaration parfaitement incontestable quand on en reste à cette litote, ou au contraire de le garder, de le faire vivre et évoluer, parce qu'il préfigure le modèle de l'industrie à venir, celle qui stocke son CO2 localement - c'est cela l'ancrage géographique -, et qui a réduit ses émissions de gaz à effet de serre d'un facteur 4 au moins ? D'autant que cet avenir est déjà notre présent - mais qui prend le temps de le savoir ?

Cinquièmement, parce que l'économie de marché, si elle perdure encore longtemps ce qui est probablement le plus vraisemblable, va s'adapter à la réalité et au danger que constitue l'effet de serre et développer les outils pour en internaliser le risque, ce qui permettra à ceux qui auront eu cette vision d'en profiter, au sens de produire des valeurs extraordinaires, ce qu'on appelle, dans certains milieux, des couilles en or!
*********

Donc, haro sur le baudet ? Le Jouyet ?

Il n'y aurait qu'un âne pour faire un aussi mauvais procès à un canard. Il ne devait pas savoir que nos canards modernes s'appelaient anes au moyen âge... Lol !

Mais c'est assez cruel d'être en ambuscade et de rediffuser en temps réel puis de les repéter en boucle, ad nauseam, toutes les paroles publiques ou privées des gens qui ont du pouvoir, surtout quand ils débutent dans le métier... Ils sont hyper-doués, mais leur laisser un état de grâce de 24 heures ne serait pas exorbitant ! Sans ces radios en continu, qui ont besoin de chair fraîche, de mots frais de travers à chaque instant, on pourrait peut être leur ficher la paix et ne pas obliger les syndicalistes à intervenir sur un mot, immédiatement...!

dimanche 14 octobre 2012

... et les entreprises, dans tout cela ?


L'ambiguité liée au statut de l'Europe se retrouve de différentes façons au niveau des entreprises.

Prenons, au hasard bien sûr, l'épisode de la fermeture des hauts fourneaux de Florange, annoncée officiellement la semaine dernière.

Mittal, plutôt qu'ArcelorMittal - car le double nom a cessé de faire illusion et autant revenir aux fondamentaux, comme disent les économistes des média -, constate donc que la croissance en Europe n'est plus qu'un souvenir et qu'on ne peut rien dire avec précision ou certitude sur son retour. Constat assez basique et simplissime, sur lequel à peu près tout le mode peut être d'accord.

Pas possible donc d'engendrer des retours sur capital investi de 15%, ni plus simplement des marges ou des profits suffisants, du même ordre de grandeur. Malgré les mesures de conservation déjà prises, c'est-à-dire réduction de toute dépense extérieure qui n'engage pas le pronostic vital, gel des investissements et réduction à la portion congrue de la maintenance, façon syndrome de l'âne de Buridan.  En pratique, cela revient à déprécier la valeur des actifs beaucoup plus rapidement que l'obsolescence naturelle ne l'aurait fait - un effet, qui semble échapper assez largement à la vigilance des partie prenantes, syndicats, analystes financiers et actionnaires minoritaires (fovéa, qui est un point essentiel de mal-gouvernance !).

Cette dégradation consciente de l'outil de travail, au nom de la création de liquidités disponibles pour le groupe, n'a pas conduit à un renversement de la situation économique de l'entreprise : la raison, assez évidente, est que celle-ci est très largement exogène, extérieure au secteur et extérieure à la société, donc entièrement pilotée par la crise. Toute action d'AM pour tenter de la freiner ne peut conduire qu'à engloutir des sommes d'argent colossales, comme les gouvernements s'en aperçoivent eux aussi quand ils traitent une crise structurelle et durable comme une crise conjoncturelle et passagère.  Réduire la production, ne pas réduire les prix est voué à l'échec et conduit à des pertes de parts de marché dont la reconquête dans un avenir lointain sera ardue, voire impossible (effet de cliquet).

L'économie réelle est ainsi entraînée dans une spirale de volumes et de prix décroissants, qui engendrent un traumatisme au carré dans les comptes des entreprises.

Le fond du sujet est que la liaison entre la sphère financière et celle de l'économie réelle est pilotée par l'attente d'un rendement de 15% des capitaux, alors que la croissance, qui est avant tout réelle, ne dépasse pas quelques % quand tout va bien, et est négative en Europe aujourd'hui : hiatus s'il en est, qui ne peut se résoudre que par des à-coups violents et des dévissages catastrophiques, qu'on appelle crise, éclatement de bulle ou autre chose. Tenter de réparer les dégâts en réduisant la part de l'état et en augmentant les impôts ne peut pas "faire le job" !

On pourrait continuer longtemps sur ce registre de la gestion à court terme de la crise, mais revenons à l'Europe.

Donc, l'Europe n'est plus un terrain de jeu sur lequel les entreprises comme Mittal peuvent poursuivre leur rêve des 15%.  C'est embêtant, car le groupe y réalise 53% de ses ventes et donc de son CA, un point qu'on a tendance à oublier quand on ne voit l'entreprise qu'à la marge, c'est-à-dire là où elle créée du fric (pardon "de la valeur"), donc au travers de son EBITDA.

Donc, "on se désengage", expression floue, qui pourrait signifier qu'on vend ce business, avec un management de type noeud gordien, mais de facto signifie simplement qu'on cesse de s'y intéresser vraiment et qu'on le laisse dépérir. Il y a en Lorraine un exemple fameux de cette façon de faire : l'usine de Gandrange de Mittal, qui a pourri sur place, jusqu'à ce qu'on constate qu'elle ne pouvait que perdre indéfiniment de l'argent et qu'on l'arrête en prenant l'univers à témoin qu'il n'y avait rien d'autre à faire.

Y-a-t-il d'autres espaces mondiaux où le rêve est encore possible ? Pas si sûr, hélas. La crise, qu'on dit venue de la sphère financière US et qui aurait migré en Europe du fait des dettes souveraines, envoie ses métastases dans le grand corps planétaire et ralentit la croissance chinoise : pour ce qui est de la sidérurgie, ce n'est pas une croissance ramenée à 7% au lieu de 8,5% (commentaire classique : pas si grave !), c'est une vraie récession, car la sidérurgie chinoise perd de l'argent, pire que Mittal ! Les autres pays émergents souffrent eux aussi  et rien ne laisse entendre qu'il y ait des relais de croissance possibles pour Mittal, en Inde ou Amérique du Sud ou en CIS.

Ce qui est le plus probable, c'est que la souffrance de la sidérurgie va se poursuivre, donc volume et prix bas pour l'acier et volume et prix bas pour le minerai de fer, la ferraille, etc.  Ce dernier point est une bonne nouvelle quand on coincé dans le ciseau des prix matières premières/acier, mais nenni point du tout lorsqu'on s'est diversifié vers le métier de mineur et qu'on l'a fait en période haute conjoncture, quand les prix (du minerai ET des mines) étaient élevés.

On a l'air coincé, à la merci, comme un ludion, de cette crise omniprésente...

Il faut donc développer une vision prospective et politique du futur et de la planète.  L'avenir n'est plus au pilotage de la croissance trimestre après trimestre, comme le fait la bourse et son cortège d'analystes bavards et hyper-médiatisés, mais à une vision plus réaliste des causes de la crise actuelle et de la façon dont on pourra s'en sortir.

Allons-y donc.

La crise va durer, ou s'atténuer pour revenir encore plus dure, comme on vient de le voir après un semblant de rémission de la crise de 2008 - l'analogie avec le cancer est riche, tant qu'on n'aura pas traité la question de l'interface entre sphère financière et sphère économique! Comme c'est un très gros morceau, où les intérêts sont si grands que les états sont prêts à déclencher des guerres pour faire avancer leurs intérêts ou leur bon droit, il n'y aura pas de solution rapide. Sorry folks!

Donc, il faut penser à la suite, car la fuite en avant pour aller voir ailleurs, dans de plus verts pâturages, n'est plus possible. Il faut accepter que l'Europe est la région du monde la plus riche et la plus dynamique, régionalement, de la planète, y compris en termes de consommation d'acier par habitant (constat hic et nunc, objectif! simplement, les journalistes et les politiciens, eux aussi équipés d'yeux d'insectes, n'en parlent pas, car ce n'est pas cela qui bouge!). Que notre avenir à tous est dans un maintien du statu quo, avec un glissement lent vers des activités non pas tertiaires mais culturelles (cf. l'analyse qu'on commence à en faire à Bruxelles) lié au glissement de la productivité.

Si on ne prend pas cette voie, alors le schéma de l'évolution à court terme, qui a longtemps été celui de la croissance, deviendra celui de la décroissance, de la croissance négative, donc de la récession durable, sans fin (il existe néanmoins une marge de "décroissance raisonnable" liée à cette idée à la mode, mais pas très claire, de transition vers l'économie verte). Cela s'appelle paupérisation de la population et renoncement au progrès social, qui reprendrait donc son statut de mythe; la fin du XXème siècle aurait ainsi été une période rose d'enrichissement de la population européenne et mondiale, mais une période éphémère.  C'est d'ailleurs la solution que les milieux conservateurs, de l'UMP au parti républicain US, du parti conservateur anglais aux chrétiens démocrates allemands, ont adoptée sans le dire explicitement : désolé, mais je ne suis pas encore assez découragé ou cynique pour les suivre!

Pour une entreprise comme Mittal, il ne s'agit donc pas simplement d'aller voir ailleurs, car il n'y a pas d'ailleurs, mais de gérer les temps durs actuels et de préparer une sortie par le haut de la crise.

Donc d'abord couper le lien avec la sphère financière, dont la société n'a pas besoin du fait de son actionnariat contrôlé à presque 50% par la famille.  Cela veut dire renoncer à la croissance-fuite en avant, qui a été la règle du groupe depuis son OPA sur Arcelor et son aventure dans le métier de mineur.  Cela voudrait probablement dire de se préparer à céder les mines, en partie ou en totalité, à une vitesse raisonnable pour ne pas tout perdre, si c'est possible!  Et utiliser ces cessions d'actifs pour rembourser une partie de la dette de 22 milliards d'euros. On pourrait sûrement ainsi sortir des notes "junk bond" (speculative grade, BB+ en octobre 2012) des agences de notation et revenir à l'investment grade, sauf que cela n'aurait plus vraiment d'importance.

Ensuite, on gère le business européen comme un bon père de famille, ce qui devrait être facile pour un groupe qui est de fait une gigantesque PME familiale!

En avançant l'innovation, sérieusement (...), en laissant aux gens qui savent le faire la liberté de faire (on reviendrai dans ce domaine aux concept de laissez-faire du capitalisme primitif), donc en réorganisant la R&D dans ce sens et en augmentant son budget.  On répartirait aussi l'effort de production, modeste aujourd'hui, sur plus de sites, plutôt que de presser le feu sur les usines-phares et d'arrêter les autres - choix à court terme lié à la prise en charge des salaires de chômage partiel par les états (qui paient, sans avoir droit au chapitre sur la politique menée par ailleurs!) et avec le risque de casser l'outil de travail: redémarrer le P6 de Florange ne sera pas une mince affaire et, si on arrête bientôt la chauffe des cowpers, deviendra infaisable car hors de prix.

Etc.

Quand un bateau traverse la tempête, on ne le quitte pas sur des chaloupes, mais on renforce l'équipage et on laisse la barre à des capitaines de gros temps.

La sidérurgie a TOUJOURS été une industrie cyclique, c'est-à-dire qui perd de l'argent après des périodes fastes où elle en a beaucoup, beaucoup gagné.

L'idée que cette cyclicité était terminée depuis la fin des années 2000 et qu'on n'avait pas besoin d'épargner en prévision de la prochaine crise (il n'y a pas de fatalité à distribuer tous les bénéfices aux actionnaires, ni d'en distribuer quand il n'y en a pas!) était une idée fausse, un sophisme dangereux dont on voit aujourd'hui les conséquences.  L'embellie qu'on a vécue dans les années 2000 était tirée par la Chine et son extraordinaire sortie de la pauvreté, même partielle,  et, surtout, par le déséquilibre que cela créait entre la demande et  l'offre. Maintenant que l'offre s'est ajustée à cette demande, en surjouant le rôle, les prix retombent. Et vont rester bas durablement, étouffant la reprise si elle reste livrée à elle-même.

Là aussi, il y a un problème majeur dans le fonctionnement de l'économie mondiale : elle sanctionne les effets de marge et pas les grands équilibres globaux. Tant qu'on est dans une fuite en avant qu'on appelle la croissance, rien à redire. Quand la croissance tousse, le château de cartes s'effondre!

Tout cela, pour ne pas faire trop long (pas complètement réussi, n'est-ce pas ?), laisse de côté la question du changement climatique et du challenge de faire vivre 9 ou 10 milliards d'habitants sur notre planète d'ici la fin du siècle. Cela est réel et TRES dangereux. Pas seulement un concept parisien (ou berlinois) de passage à une économie verte.





lundi 8 octobre 2012

Dur, dur d'être européen...

D'un côté, on a la difficulté d'être de l'Europe, cette riche région du monde, qui désespère, se flagelle et plonge une partie de sa population dans la pauvreté. Des espagnols, autrefois de la classe moyenne, font les poubelles pour trouver à manger : quand on sait que 40% de la nourriture est perdue, on ne sait que dire ! La Grèce annonce sa faillite fin novembre, si l'argent qu'on lui a promis n'arrive pas. Et l'Allemagne continue à expliquer qu'il faut souffrir pour accéder à la rédemption, avec, en petits caractères, l'affirmation que les Allemands en ont assez de payer pour les cigales. En France, un gouvernement socialiste met en place une politique de rigueur budgétaire comme on n'en a jamais vu depuis 30 ans, ou 60 ans, en tout cas sous aucun gouvernement de droite.

Enorme déficit d'Europe, cette structure sans assise populaire, démocratique et médiatique, qui attire les colères, les mécontentements et les chauvinismes primaires, et qui dont on ne voit ni les bienfaits, ni la réalité. L'Europe est la plus riche région du monde en termes de PIB : ni les US, ni la Chine ne font mieux qu'elle ! Mais on ne parle que de ses provinces, l'Allemagne, le Royaume Uni, la France.

Je viens de 4 jours dans un congrès international à Dresde, où les organisateurs, allemands, n'ont parlé que de l'Allemagne, si exemplaire, si riche et si admirable : d'Europe, presque rien, sauf ce que moi j'en ai dit.

Quelle méconnaissance élémentaire de la façon dont fonctionne l'économie et quel oubli de l'histoire !

L'histoire d'abord... L'Europe s'est construite depuis la plus grande guerre mondiale et l'a fait en insistant sur d'autres réalités que le nationalisme étroit ou les égoïsmes nationaux. Les nations sont une inventions du passé et surtout du XIXème siècle, et un autre modèle, basé sur la coopérations de petites structures faisant sens pour leurs concitoyens, valait la peine d'être essayé. Ca a fonctionné pendant 50 ans... encore un petit effort! Ne pas oublier que ce modèle a fonctionné en Grèce, en Allemagne avant que la Prusse ne la réunifie, en l'Italie, avant Garibaldi, et que l'Europe moderne veut réincarner ce passé-là, en lui enlevant l'élément de la guerre.

L'Europe a contribué à permettre aux états de réaliser leurs rêves, par exemple celui de la réunification de l'Allemagne de 1989, qui a d'abord été payé par l'Europe dans son ensemble avant de l'être par les allemands eux mêmes. Comment se fait-il que l'Allemagne ait oublié cela, comme elle a oublié des évènements plus anciens et beaucoup plus douloureux, ces trois guerres mondiales dans lesquelles elle a précipité l'Europe, puis le monde entier ? Pourquoi serait-il de mauvais goût que de le rappeler, quand un peuple entier a l'air de penser qu'il peut fonctionner dans un vide contextuel, international, drapé de ses seules nouvelles vertus, largement auto-proclamées ?

L'économie ensuite...

Le but de l'économie est de créer de la richesse pour que la société dans son ensemble accède à plus de bien-être.  L'économie ne vise pas à protéger un système figé où des rentiers défendent leurs privilèges, mais à s'ouvrir sur l'avenir, donc à créer les conditions d'une croissance qui crée de la richesse, pas seulement de la valeur comme on dit dans les entreprises (beyond GDP, beyond the bottom line).  Pour créer de la richesse demain, il faut emprunter de l'argent auprès de ceux qui en ont, donc les ménages et leur épargne (qui est dans les banques) et les banques elles-mêmes, qui ont le pouvoir extraordinaire de créer de la monnaie sur la base de cette épargne. L'économie, ce n'est pas un système en équilibre budgétaire ou à l'équilibre des échanges, c'est un système qui parie en permanence sur l'avenir et qui le construit en dépensant de l'argent qui n'existe pas encore !!

Le traité européen sur le pacte budgétaire n'est donc, au mieux, qu'un outil pour réguler ce pari sur l'avenir, et au pire qu'une erreur dramatique, qui asphyxie l'économie, empêche la croissance et conduit l'Europe, y compris l'Allemagne dès janvier 2013, dans le mur.  Un mur qui pourrait se révéler si dur que l'Europe et ses états ne volent en morceau pour longtemps. Des raisonnements économiques qui créent de la pauvreté et pas de la richesse. En attendant, peut-être, de plus grands errements. Ne pas oublier que c'est la deuxième guerre mondiale qui a tué une bonne fois pour toute la crise de 1929, pas le new deal, ni le front populaire.

Comment peut-on ne pas voir qu'on répète aujourd'hui les mêmes erreurs qu'au moment de la grande crise ? Malgré Paul Krugmann et quelques autres économistes qui sonnent le tocsin toutes les semaines dans les meilleurs journaux du monde !

D'un autre côté, il y a les entreprises. qui inventent leur forme d'égoïsme... mais cela l'objet d'un autre blog.

samedi 14 juillet 2012

ET SI ON PARLAIT DE CHIFFRES ?



Alors que 85% d'une génération arrive au niveau bac, une mesure du recul définitif de l'illettrisme, il faudrait commencer à faire la guerre à l'innumérisme et aider ainsi chacun à développer une vraie pensée critique. Celle-ci demande de se construire une vision chiffrée du monde !


Il s'agit ici de mettre un peu de clarté dans le débat actuel sur PSA et son plan de réduction d'emplois. Parce quelques chiffres vont rapidement montrer qu'il ne s'agit pas seulement d'emplois ni seulement de PSA. Si je me fais une entorse en mettant le pied dans un trou de la route, ce n'est pas simplement parce que je ne suis pas assez vigilant, mais parce qu'il y a un nid de poule dans cette route !!!


In principio, l'économie va mal, très mal. Un chiffre assez fort : la production d'acier en Europe est tombée de 25% depuis 2008. Une telle chute, cela ne relève pas d'un évènement conjoncturel ni des bavardages des commentateurs de télévision, mais d'une crise majeure, durable, qui s'apparente à une guerre en termes d'impact et d'ampleur. L'acier vendu en Europe l'est à hauteur de 40% à l'industrie automobile, et il y a donc un rapport direct entre le problème de la sidérurgie et une forte dépression de l'industrie automobile. 


Ne remontons pas au déluge pour parler des causes de cette crise économique, on l'a déjà fait dans ce blog. Restons sur l'automobile.


Il y a dans le monde 1 milliard d'automobiles, soit presque qu'une voiture par habitant dans les pays où le niveau de vie est assez élevé pour que les gens puissent se les offrir. Toutes ces voitures ne peuvent pas circuler en même temps, pas assez de surface de route ni de places de stationnement. Il faut aussi que les gens fassent d'autres choses que de se déplacer, etc. Néanmoins, les routes sont surchargées presque partout en zones urbaines ou quasi urbaines, comme la totalité du territoire néerlandais, et les utilisateurs d'autos  le vivent au quotidien. Les nouvelles générations ont donc naturellement fait évoluer leurs "valeurs" au-delà de la possession d'une automobile et pour la première fois dans l'histoire moderne, l'appétence pour les voitures diminue. En Europe, à Beijing, etc.


Par ailleurs, le nombre de constructeurs automobiles est trop élevé et la plupart ne créent pas de valeur de façon durable. Comme cela a été le cas, mutatis mutandis, dans la sidérurgie après les crises dites pétrolières et jusqu'au début des années 1990. Les plus brillants s'en sortent à peu près, comme Volkswagen en ce moment ou Toyota, mais les plus fragiles sont en grande difficulté, PSA pour commencer, hic et nunc. Mais rappelons nous la faillite intégrale de Detroit il y a 4 ans, les difficultés concomitantes de Toyota, etc. 


En résumé, il y a une offre excessive d'automobiles dans un marché très, très déprimé. La crise va conduire à détruire les faibles et ne conservera que les forts pour continuer à un niveau d'offre plus en conformité avec la demande hors crise.  Evidemment, cela ne sera ni blanc, ni noir, surtout si certains états entrent dans le jeu et "sauvent" l'industrie automobile, comme cela a été fait aux Etats Unis ou pour la sidérurgie en Europe. 


La bulle de l'automobile, donc...


Le développement de l'automobile ne répond pas tant à la satisfaction d'un droit à la mobilité qu'il ne traduit l'abondance de pétrole, d'essence, accessoirement de diesel, sans oublier le kérosène, des avions. Comme le pétrole a très probablement passé son pic, on s'achemine vers la fin d'un paradigme, la fin d'un Kondratief: fin du pétrole et fin de l'automobile - à terme. Ni les piles à combustible, ni les voitures électriques ne renouvèleront le "miracle " lié au pétrole. 


Tout ceci étant dit, si PSA est en train de plonger, c'est à cause de PSA, comme le dit sans grande imagination un récent édito du Monde. Quel a été l'erreur de management de ce groupe ? Un manque de vision géopolitique, c'est évident, une passion pour les solutions maisons, différentes de celles des autres, des décisions prises dans une famille fermée sur elle même - mais des groupes familiaux semblent encore réussir dans d'autres secteurs, voir Loréal ou ArcelorMittal, etc. 


Ces erreurs sont-elles une nécessaire condamnation à mort de PSA ? Sûrement pas, mais ce ne sont ni les édito du Monde ou de BFM TV, ni le ministre du redressement économique qui ont les clés pour éviter le désastre. 


Ce qu'il faut, c'est plus d'intelligence collective dans la société, je vous laisse imaginer ce que cela peut vouloir dire en détail.