samedi 28 avril 2012

Vive la croissance phallique !


Le Monde vient de produire un édito (journal en date du 27/04/2012) pour réclamer que Paris ose se doter de gratte-ciels, comme l'ont fait la plupart des grandes villes du monde... sauf un assez grand nombre de vieilles villes européennes. Si les urbanistes parisiens du passé n'avaient pas laissé la ville changer au cours de sa longue histoire, elle n'aurait ni sa richesse, ni son charme actuels. Il y a bien une exception en région parisienne, le quartier de la Défense, hérissé de gratte-ciels, dont les plus anciens, vieux de 30 ans, ont déjà été démolis et reconstruits dans des styles plus récents; c'est le quartier d'affaires le plus important d'Europe, en m2 disponibles. Montréal ou Toronto ont laissé la ville croitre vers le ciel, à la manière des cathédrales, mais les plus créatives des villes du monde qui ont osé cela sont Chicago (Michigan Avenue), New York et Beijing (Rue Chang'an).

Le cri citoyen du journal relève de plusieurs logiques : la première est qu'une ville est une structure vivante et qu'elle doit changer, par apoptose, par remplacement des anciennes cellules  et par croissance de nouvelles, une métaphore de la ville comme structure biologique vivante, qui exprime que ce qui ne change pas se nécrose ou se fossilise.  Il faut aussi tenir compte de la croissance de la population urbaine et éviter que le déficit de logements et de bureaux ne crée des bulles foncières de nature spéculative. 

Ces questions ne concernent pas que les grandes villes. Les petites villes de "province", comme on dit à Paris, doivent affronter les mêmes soucis et en outre gérer la question de l'étalement urbain, une espèce de mélanome qui se propage en mode banlieue ou rurbain loin des villes, avec ces métastases que sont les réseaux d'autoroutes.  La messe est dite autour de Paris et des mégalopoles, on peut peut-être éviter que les villes moyennes échappent à la pandémie ? Dans mon village dont la superficie ne dépasse pas 2 km2, sont concentrés pas moins de deux autoroutes, deux méga-échangeurs et une route à quatre voix en projet, soit une surface au sol du quart de la superficie de la commune !  Et une ville quasiment continue existe aujourd'hui, de Luxembourg à Épinal, le sillon lorrain (http://www.sillonlorrain.org/), une construction organique, naturelle, spontanée, liée à la géographie des vallées de la Meurthe et de la Moselle, qui cherche comment donner une structure administrative opérationnelle à cet ensemble à cheval sur deux pays, trois départements français et une région hexagonale, la Lorraine.

Les immeubles de grande hauteur, à Metz, Nancy, et pourquoi pas à Thionville et Epinal, seraient une solution à ces questions.

Cela parait incongru aujourd'hui avec des règles d'architecture qui imposent de ne pas dépasser le hauteur de la cathédrale à Metz - preuve d'ailleurs qu'au Moyen Age on n'avait cure de rester au ras des toits. On n'avait pas de règle semblable à New York (Saint Patrick) ou à Montréal (Église Saint James). Je ne propose pas d'enfermer Saint Étienne au fond d'un puits de très grands gratte-ciels, mais de choisir où ériger des quartiers de crayons dressés vers le ciel. Aller voir à Luxembourg comment ils y ont transformé le plateau du Kirchberg, à l'une des extrémités du sillon lorrain. Il faudrait aussi en profiter pour arrêter l'étalement urbain et laisser les habitants des villages lointains revenir vers des centres.  Cela demandera de l'imagination des dessineurs de villes, mais de beaucoup d'autres acteurs de la vie publique : faire en sorte que les gradients de prix, peut-être un prix élaboré comme un coût d'usage, redeviennent centripètes, cesser de bétonner les abords des centres pour que les rurbains puissent y "commuter", construire des systèmes de transports en commun qui ne s'arrêtent pas à la frontière des ensembles administratifs (comme le Mettis et la Communauté urbaine de Metz), imaginer des voies cyclables qui servent à aller travailler au quotidien, pas seulement à se promener le dimanche dans des zones bucoliques, et en décidant de leur donner la primauté par rapport aux voitures. 

Les immeubles eux-mêmes peuvent être des lieux de vie nouveaux.  Le Corbusier et ses Cités Radieuses a déjà exploré certaines de ces possibilités : dans celui de Marseille (la maison du fada), on trouve des écoles, un hôtel, un excellent restaurant et des boutiques, répartis à différents étages et pas simplement dans la rue.  Quoi de plus rassurant pour des parents que d'envoyer les enfants à l'école dans l'immeuble au 42è étage, sans rue à traverser, ni feu rouge à respecter.  Le samedi, les israélites peuvent aller au Temple au 40è étage. Les catholiques auraient la messe le dimanche dans l'église du toit de l'immeuble et les musulmans iraient à la prière dans la mosquée du 7è - on pourrait aussi penser à des lieux de culte multiconfessionnels, comme ceux de Bethléem ou des aéroports parisiens.  Les boites de nuits seraient proches des passerelles reliant les immeubles entre eux, de façon à assurer un pool de gènes suffisamment large aux générations futures, etc.  En revenant à la maison de ces lieux publics, on passerait à la boutique des fermes urbaines pour y faire son marché quotidien de fruits et de légumes, etc. Et la maison n'aura pas de raison d'être un simple appartement genre HLM, car là aussi l'imagination devrait être la règle, comme dans les cités radieuses ou les duplex sont la règle.

Les gratte-ciels donc, mais aussi une vision d'un lieu de vie global, régional, citial, où l'on puisse vivre, travailler, s'amuser, se cultiver, apprendre, faire des bêtises, dans un espace à trois dimensions permettant aussi de bouger (un terme qui pourrait remplacer celui de mobilité, un peu usé, éculé, trop approprié par des lobbys). 

Il faudrait aussi penser à la biodiversité, qui fait les frais aujourd'hui de l'étalement urbain. Ces villes nouvelles seraient traversées de couloirs verts et bleus, qui assureraient la connectivité d'un espace réservé aux écosystèmes naturels. 

Ce serait une grande révolution, une rupture de paradigme, car, aujourd'hui, c'est la ville qui revendique ce tissu continu et le réalise, sans y penser.

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