vendredi 30 octobre 2015

Plaidoyer pour la prospective...


Introduction à notre travail de prospective

Il n'y a pas de doute que la Lorraine est arrivée à une croisée de chemins historique.  Comme la France, l'Europe et la planète entière le sont aussi.
Une période de grandes incertitudes et de défis
Bien sûr, le changement le plus immédiat et le plus visible pour les Lorrains est le redimensionnement des Régions françaises qui emmène la Lorraine vers ALCA, un nouveau cadre dans lequel nous allons collectivement exister, réfléchir et nous redéfinir : nous deviendrons ainsi la deuxième région française en matière d'agriculture, de forêts et de production vinicole par exemple.
La Grande Région aux contours d'Austrasie, dans laquelle La Lorraine a appris à fonctionner en sautant les frontières nationales, existe toujours et nous rappelle que les logiques géopolitiques de demain ne seront pas nécessairement définies par Paris, ce qui est évident au niveau européen, mais l'est aussi à notre niveau plus local.
A une échelle plus large, la France est en crise, l'Europe aussi de même que le monde entier. Crise veut dire changements profonds, remise en cause de nos certitudes, voire de nos valeurs, et incertitude sur les chemins que l'avenir va emprunter.
Une crise comporte de bonnes choses, par exemple le fait que le monde ait atteint ses objectifs du millenium plus vite que prévu, voyant ainsi la pauvreté reculer dans le monde.
Une crise comporte aussi des composantes inquiétantes, porteuses d'incertitudes et de défis à relever - à condition d'en avoir une conscience aigue.  Si on n'y réfléchit pas de façon spécifique, nous serons assaillis par la crainte et tentés par le repli sur nous-mêmes.
Nous pourrions citer la crise économique qui nous accompagne depuis 2008 et qui perdure aujourd'hui encore.  Il n'y a d'ailleurs pas de récit consensuel sur les causes profondes  de cette crise ni sur les mécanismes qui nous ramèneraient vers une croissance retrouvée. Quelles sont les pierres philosophales pour retrouver la croissance, le ressort sur lequel on a basé jusqu'ici nos espoirs de plus de bien-être et d'emploi ? Ou pour nous adapter à un avenir moins matériel, moins lié au PIB, mais qui conserverait le bien-être ?
Nous pourrions citer aussi le changement climatique, qui change déjà notre quotidien. Ses conséquences vont s'amplifier, avec le défi extraordinaire de le limiter et la nécessité de nous y préparer pour nous adapter à ses effets irréversibles.

La nécessité impérieuse de déchiffrer les avenirs possibles
Nous entrons dans une période sombre au sens où il est difficile de voir où nous allons. Nous naviguons sur des eaux agitées, où les vagues sont hautes et heurtent notre bateau de travers. Faut-il alors mettre des lunettes noires pour percer l'horizon ? Faut-il abandonner la barre au pilote automatique ?
La réponse nous parait clairement être NON !
Parce que le génie de l'humanité, des Français et des Lorrains que nous sommes, a toujours consisté à affronter les défis. Il n'y a que cela qui respecte notre dignité.
Et aussi parce qu'on dispose d'un outil pour penser l'avenir et ses défis. Cet outil c'est la prospective, qui a l'ambition et la capacité d'éclairer l'avenir.  La prospective est une discipline inventée à la fin de la seconde guerre mondiale, qui a aidé les Etats Unis et les Alliés à sortir du cauchemar de la guerre. Depuis, elle a guidé des milliers de communautés et de décideurs vers la prise en compte des défis avec réalisme et une vraie efficacité.
Le travail mené par la section prospective a l'ambition de donner à la Région une vision de la météorologie tourmentée qui est devant nous. C'est un travail aussi ambitieux et complexe qu'il est indispensable.
Il ne vise pas à dire ce qui doit être fait – c'est le rôle d'autres instances de dire la politique, mais simplement à montrer les futurs possibles auxquels nous sommes confrontés. Parler de scénarios, sans en privilégier aucun, donc sans se laisser aller à croire que l'avenir ne sera que le prolongement du présent, mais sans céder non plus à une vision trop optimiste de l'avenir, basée sur une confiance dans la technologie et la science, ni au contraire à une vision trop pessimiste, voire catastrophiste pilotée par les inquiétudes légitimes liées au changement climatique et au blocage actuel de l'économie.

La section Prospective a déjà beaucoup déblayé le terrain
La section a réalisé un travail de réflexion large, approfondi et plein d'imagination.
Nous avons réfléchi aux hommes, à travers la démographie et les questions liées à la santé. 
Sur le premier point, l'avenir ne relève pas beaucoup de surprises, à condition que le dynamisme démographique de la Lorraine et de l'Alsace se maintienne et se renforce.
Sur le second, dans une région qui assume son passé industriel et ouvrier en terme d'espérance de vie un peu faible, l'avenir est dichotomique.
La biologie, la pharmacologie et la médecine laissent entrevoir un avenir radieux, avec une augmentation de la durée de vie, surtout de la durée de vie en bonne santé, voire, pour les visions les plus optimistes, un véritable bon en avant.
Par contre, les menaces en termes de nouvelles maladies et d'émoussement de l'efficacité des grands médicaments apportent un contrepoint plus inquiétant.  On peut aussi se demander si nous aurons la volonté et l'imagination pour éviter que les progrès de la médecine n'accentuent la fracture sociale, en excluant les plus démunis et en ne traitant que les hauts revenus.
Le scénario qui sera effectivement suivi trouvera très probablement un chemin médian, zigzaguant entre ces deux futurs contrastés, mais on n'évitera le pire que si on affronte avec audace les défis identifiés, sans s'abandonner aux espoirs d'une technologie rêvée.
Nous avons aussi réfléchi au tissu économique et à ses relations avec l'environnement, notre morceau de planète qui relève d'ALCA. 
En ce qui concerne l'économie, nous sommes en face de deux futurs très différents.
Nous sommes face d'une part à un scénario contrasté optimiste, qui affirme avec force que l'économie est en train de changer de modèle, de paradigme et même de Kondratieff, que nous vivons une nouvelle révolution industrielle basée sur les nouvelles technologies de l'information et de  la communication (les NTIC), qu'on appelle aussi le numérique.  La croissance mondiale devrait repartir, la pauvreté reculer et la culture et la démocratie en tirer un grand bénéfice.
Un autre scénario contrasté imagine au contraire que la croissance est derrière nous, que nous n'avons plus de réserves de productivité sur lesquelles rebondir, ni de ressources sur une terre finie et surexploitée, et que nous nous acheminons vers une stagnation, ou même vers une décroissance. On aurait besoin, dans ce monde-là, d'une transition vers la non-croissance, qu'on a peine à imaginer comme facile à vivre.
Il est probable que nous trouverons là aussi un chemin médian. Et qu'il faudra à la fois tirer fort pour aboutir à une petite croissance, 1 ou 2% – et le numérique nous y aidera, mais aussi veiller à ce que la société ne se fragmente pas plus qu'aujourd'hui.
Le numérique ne suffira pas à conjurer les dangers de la récession. On doit aussi privilégier des activités concrètes, donc basées sur l'agriculture, la foresterie et l'industrie. La Renaissance industrielle, qui est un slogan de l'Union européenne, doit aussi devenir un slogan de la Lorraine, qui a une tradition ancienne et donc une culture et un savoir-faire profonds dans ce domaine, et d'ALCA.
Les activités industrielles liées au numérique et à ses technologies d'accompagnement, comme la fabrication additive, devraient faire partie de ce renouveau.
Mais il faudra sûrement imaginer aussi une ré-industrialisation basée sur des ressources locales, comme l'industrie du 19è et 20è siècles l'a été.  C'est une façon de préserver les activités en les ancrant dans les territoires et d'éviter d'être mis en permanence en concurrence sur les critères les moins disant de la mondialisation.
Les ressources locales sont nombreuses : (1) biomasse basée sur la forêt et l'agriculture, (2) énergies renouvelables basées sur le vent, le soleil et aussi la géothermie, stockage de l'énergie (STEP) sur les pentes vosgiennes,  (3) hydraulique à échelle locale, (4) gaz de houille et pourquoi pas (5) gaz de schiste, dont la Lorraine semble être dotée en abondance, à condition qu'on accepte d'y aller voir, (6) sel gemme du Saulnois et (7) potasse d'Alsace, (8) calcaire des côtes de Meuse, (9) sable et graviers des vallées meusiennes, mosellanes et rhénanes, et, pourquoi pas, (10) houille et (11) minerai de fer, abandonnés lors de la première mondialisation, mais dont les réserves son intactes dans le sous-sol et dont les gisements ultramarins perdent en attractivité. Il y a aussi des possibilités de (12) stockage souterrain des déchets nucléaires et (13) du CO2 : dans ce dernier cas, certaines industries seront amenées à terme à se  rapprocher de sites de stockage de forte capacité. Il y a aussi (14) le bois matériau et (15) le bois énergie ; et (16) la mine urbaine avec ses métaux, dont la ferraille, et ses ressources en matériaux très divers, qu'il conviendra d'exploiter dans le cadre de l'économie circulaire. Enfin, alors qu'on ne considère pas souvent cela comme une ressource, (17) la logistique basée par les grands axes de circulation qui traversent la région, sera aussi une source d'activité importante et de connectivité avec les régions voisines, en assurant le flux de commodités, de biens et de personnes qui sont le sang de l'Europe.
Cette industrie renaissante nourrira les activités tertiaires qui accompagnent toujours cette activité secondaire.
L'environnement est aussi une composante-clé du futur, dans la mesure où on doit le maîtriser pour assurer le bien-être des gens, au-delà de la dimension purement économique de leur vie.
Le changement climatique est une tendance lourde, où les scénarios sont ceux d'une réduction du réchauffement à 2°C, côté des optimistes et une envolée des températures du côté des pessimistes. Dans les deux cas il y aura modification du climat local et des conditions de l'agriculture.  Dans le scénario contrasté le plus pessimiste, une immigration climatique devrait doubler au niveau mondial le nombre de migrants, et cela aura aussi des conséquences sur ALCA, jusqu'à en modifier la démographie.  ALCA a des réponses locales à apporter à la lutte contre le changement climatique. En repensant ses bâtiments, les structures de ses villes, ses réseaux de transport et ses activités industrielles et en transformant la région en zone verte, à empreinte carbone quasi-nulle.
Cela impliquera aussi de traiter convenablement les questions de biodiversité en créant des corridors verts et bleus pour créer des passages au travers du tissu urbain entre les zones rurales ou forestières. 
En matière d'environnement, on est en face de scénarios presqu'uniques, où les choix politiques seront imposés par des contraintes incontournables. Sauf à fermer les yeux et à foncer dans le mur !

Ce travail n'est qu'une étape…
Tout ceci n'est qu'une première étape.
Il reste encore beaucoup de questions à approfondir, autour de l'utilisation de l'espace, de l'urbanisation, de la mobilité, des modes de vie, de la gouvernance et des conflits.
La démarche prospective demande rigueur, travail et donc temps. Du temps, nous en avons encore besoin pour mener jusqu'au bout la démarche entreprise, même si elle apparaît dores et déjà très riche.
Nous vous invitons à prendre connaissance de ce qui a déjà été fait.

Ecrit par JP. Birat


PS. On peut décliner ces questions dans un style formel et soutenu de prospective rigoureuse ou au contraire proposer des nouvelles qui déroulent le même genre de récit, mais de façon beaucoup plus vivante.

Ce texte est une proposition d'introduction à un rapport intermédiaire de la section prospective du CESEL. 

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