samedi 21 mars 2009

La vie au champ ?

Ce matin, à la caisse chez Auchan, j'ai attendu que le microprocesseur de la puce du lecteur de carte me donne la main pour payer." Attendez, SVP !" m'a-t-il signifié.  Je préfère le message espagnol, esperar, que je fais semblant de traduire par espérer... Quelques secondes pendant lesquelles les hommes attendent, piégés dans une bulle de temps congelé, que les machines leur redonne le droit de continuer à exister. Quatre clients, une caissière dans ce temps à l'arrêt.  C'est l'occasion d'un instant de convivialité avec l'employée, à qui j'explique que des machines plus rapides existent, c'est simplement que sa direction estime que son temps coûte moins cher que le remplacement de l'équipement.  Elle sourit et soupire et quand elle me lance un au-revoir-merci-bonne journée, il est plus chaleureux que d'habitude.

Etranges ces arbitrages où le temps de la machine prime sur celui des salariés et surtout des clients ! Encore un modèle d'avant la crise... 

Comme tout le modèle de l'hypermarché, qui s'en va à vaux l'eau, avec ses rayons déplumés, mais habités de plus en plus par des produits-maisons.  Dont on sait qu'il coûtent marginalement moins cher mais sont plus médiocres voire carrément moins bons.  Les produits qu'on cherche ont disparu ou sont dissimulés dans la plus basse des étagères, là où on ne les repère qu'en les cherchant avec opiniâtreté.  Comme cette habitude agaçante d'imposer un parcours de découverte au client en déplaçant régulièrement les rayons.  Un modèle où le modèle est de vendre, vendre, toujours plus, un peu n'importe quoi en trompant le client ou en lui tendant des pièges pour qu'il se lâche dans des achats d'impulsion. Marketing dévoyé qui vise à vendre sans écouter les besoins des clients, à déconnecter offre de demande en manipulant la demande pour la faire coïncider avec cette offre artificielle.  Une des causes profondes, à mon sens de la crise, qui repose sur une bulle de consommation de produits dont le marché n'avait ni besoin ni envie. Comme Bill Clinton, qui explique dans ses mémoires qu'il a eu cette aventure (relationhip) avec Monica Levinski, ce n'était ni par besoin ni par envie, mais "parce qu'il le pouvait" !

Dans pas très longtemps, Auchan ne pourra plus nous vendre n'importe quoi. Il ressemble déjà à un poisson hors de l'eau qui se débat pour survivre. Pour sortir de la crise, il faut donc aussi réinventer ces hypermarchés et l'une des réponses sera d'en abandonner un grand nombre. Friches commerciales à venir après les friches industrielles qu'on résorbe petit à petit en Lorraine. 

Le scandale des hypermarchés est multiple.

Scandale des emballages par exemple. Le client se démène avec des astuces variés pour emporter ses achats chez lui, depuis que les sacs de caisse ont été supprimés, disparition accompagnée par une grande campagne de publicité dans la droite ligne de la langue de bois du marketing, expliquant que les hypers se sont acheté une conduite verte et citoyenne ! Evidemment, c'est la loi qui l'a imposé, une des retombées de ce qu'on appelle en France "le Grenelle de l'Environnement" - curieux clin d'oeil à juin 1968. On n'a d'ailleurs visé que les sacs de caisse, alors que tout est emballé dans un hyper et que ce mode de présentation est la clé du modèle économique qu'ils représentent : sans l'hyper-emballage des produits, les hypermarchés ne peuvent plus fonctionner et ils n'ont donc appliqué que la lettre et pas l'esprit du Grenelle, survie impose !

Scandale de la médiocrité des produits. Produits pas chers, produits médiocres : ce n'est pas partout une fatalité mais c'est une règle dans cet univers-là.  Ici, les produits frais sont tellement décevants, qu'un supermarché appelé "grand frais" s'est ouvert à proximité et qu'il draine une clientèle large, en particulier en début de mois, quand les salaires sont tombés dans les comptes bancaires. Même les pauvres ou les presque pauvres ont donc compris qu'il peut être moins onéreux d'acheter plus cher.

Scandale de leur empreinte carbone.  En amont, avec ces produits venus du bout du monde, comme les haricots du Kenya vendus à contre saison.  Est-ce vraiment un besoin, d'ailleurs de manger n'importe quel produit, n'importe quand ? faut-il dénier le temps des saisons ? Mais l'essentiel de l'empreinte carbone est lié à la clientèle qui vient magasiner en voiture.  Mon hyper voisin génère environ 60.000 t de CO2 par an ! Aujourd'hui, en pleine crise, cela vaut 600,000 €. Dans dix ans peut-être 6 millions d'euros et en 2050 36 millions d'euros!

Même dans un monde parallèle qui aurait échappé par miracle à la crise actuelle, l'avenir des hypermarchés serait noir et leur avenir à long terme largement compromis.

Malgré leur déploiement à l'échelle mondiale... Carrefour en Chine, au Brésil dans le monde entier, exemple hier réussi de la mondialisation. Exemple aujourd'hui d'un modèle tout à fait artificiel, dévoyé, parti en bulles, soutenu par les banques d'affaires qui y trouvaient l'écho de leurs propres fantasmes.  

Les bonnes valeurs, celles qui peuvent être durables, ne seraient-elles pas l'écoute des besoins du client ? Dans une société où le client réapprendrait à fonctionner selon ses besoins, ses moyens et ses désirs ?

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