samedi 20 octobre 2012

Florange, le canard boiteux ?


La future Banque publique d'investissement, qui doit ouvrir ses portes début 2013, apportera-t-elle son soutien à l'aciérie ArcelorMittal de Florange qui vient d'annoncer la fermeture de ses hauts fourneaux ? Réponse de son futur président, Jean-Pierre Jouyet, sur Europe 1 : "La BPI aura vocation à maintenir l'activité et non pas à aider les canards boiteux". (site france info, LE VENDREDI 19 OCTOBRE 2012 À 11:28)

Pas sympa pour les canards, cette expression de canard boiteux, qui désigne celui qui sort de la norme, dont on a honte, le clou qui dépasse, le vilain petit canard !

Florange sort-il donc de la norme ?

Question pertinente et intéressante.

Il y a dix ans, quand Arcelor faisait de la stratégie, Florange sortait de la norme de façon évidente. On prévoyait une surcapacité de production d'acier en France et en Europe et on avait prévu de tirer un trait sur les usines au coût de production le plus élevé, donc celles qui n'étaient pas au bord de la mer - ou du Rhin : cette vision stratégique portait le nom de plan Appolo. Florange et Lièges étaient ainsi sur la liste noire des sites à euthanasier.

Quand Mittal est arrivé, porté par la vague de renouveau de la sidérurgie, que tirait le réveil sismique de la Chine, le plan Appolo est parti au placard, car toute tonne produite était absorbée par le marché et les sidérurgistes avaient transformé toutes leurs usines en machines à cash.  Preuve d'ailleurs, que la vision d'une contraction du marché européen n'était pas pertinente, hic et nunc.

Dix ans plus tard, l'économie est en crise profonde, majeure, durable, et les besoins d'acier sont tombés de 25% en Europe et de 50% en  France. Les usines sont donc à l'arrêt et Mittal annonce la fermeture définitive de certaines d'entre elles. En expliquant que cela va de soi... Il applique donc le plan Appolo, dix ans après qu'il ait été conçu, et en expliquant qu'il allait tout autant de soi de l'ignorer à l'époque de sa mise au placard.

Mais rien n'est évident, hélas ou fort heureusement.

Premièrement, l'acier n'est pas un matériau ringard. Voir un blog précédent.

Deuxièmement, l'usine de Florange n'est pas un canard boiteux. L'idée qu'une usine doive être au bord de l'eau, à quelques encablures des mines de fer mesurées en dollars de freight, c'est ça l'idée ringarde, ou, plutôt, une idée qui a fait son temps parce que d'autres modèles sont apparus : celui de produire des aciers de haute couture, de luxe, de haut de gamme dans un site proche de ses clients et pas de ses matières premières. La spécialité en opposition à la commodité. En outre, si l'historique deverminé des prix de revient de cette usine par rapport aux sites côtiers étaient accessible en public, on verrait que Florange s'est situé dans les 3 meilleures usines du groupe en termes de prix de revient.  Ça veut dire que le site était rentable, ce qu'a redit récemment le rapport Faure.

Troisièmement,  pour des raisons que seuls des historiens pourront expliquer, Mittal à cessé de croire à Florange. Les tableaux de bord se sont chargés d'opacité, avec des prix de transfert des matières premières à coûts fixes, maximaux et identiques pour tous les sites rendus au porc maritime, et des prix de cession tout aussi uniformes, pour réaliser de l'optimisation fiscale - c'est à dire domicilier les plus values là où l'impôt est le plus bas, entre Luxembourg et Bahrain. Les bénéfices sont mutualisés au niveau du groupe, qui les réaffecte selon son bon plaisir, et la partie qui est ré-attribuée  aux sites ne l'est plus en fonction de leurs mérites propres. Par exemple, les investissements de maintien de l'outil de travail et maintenant la simple maintenance sont au point mort. Par la vertu de ce mécanisme pervers, certains sites vieillissent vite, comme jadis Gandrange et maintenant Florange. En quelques années, un site phare devient ainsi un destructeur de valeur. D'un coup de baguette magique, un site rentable cesse brusquement de l'être, en un clin d'oeil! Magie au sens propre, parce que les mots prononcés par le patron suffisent à basculer dans cette nouvelle réalité. La preuve, c'est que personne ou presque ne la conteste!

Quatrièmement,  il y a la crise, cette crise qui n'est pas près de finir, ni à l'échelle du temps de la bourse, qui examine chaque trimestre les performances (métaphore sportive) des entreprises, ni à celui des emprunts qu'il faudra refinancer par exemple dès 2014. Dans ce contexte difficile, impitoyable, il faut survivre, si c'est possible, et cela implique de se mutiler, de s'amputer, de couper des branches, de ne conserver que des rameaux vivaces. Peut-on le faire avec vision, originalité, sens de l'avenir ou doit-on se raccrocher à des concepts mûrs, au risque qu'ils soient dépassés et même déjà vidés de toute substance ? La seconde option est rassurante, plus facile, plus parlante pour les banquiers, les parties prenantes dont on a besoin à court terme ? Choisit-on de tuer Florange, parce qu'elle n'est pas au bord de la mer, déclaration parfaitement incontestable quand on en reste à cette litote, ou au contraire de le garder, de le faire vivre et évoluer, parce qu'il préfigure le modèle de l'industrie à venir, celle qui stocke son CO2 localement - c'est cela l'ancrage géographique -, et qui a réduit ses émissions de gaz à effet de serre d'un facteur 4 au moins ? D'autant que cet avenir est déjà notre présent - mais qui prend le temps de le savoir ?

Cinquièmement, parce que l'économie de marché, si elle perdure encore longtemps ce qui est probablement le plus vraisemblable, va s'adapter à la réalité et au danger que constitue l'effet de serre et développer les outils pour en internaliser le risque, ce qui permettra à ceux qui auront eu cette vision d'en profiter, au sens de produire des valeurs extraordinaires, ce qu'on appelle, dans certains milieux, des couilles en or!
*********

Donc, haro sur le baudet ? Le Jouyet ?

Il n'y aurait qu'un âne pour faire un aussi mauvais procès à un canard. Il ne devait pas savoir que nos canards modernes s'appelaient anes au moyen âge... Lol !

Mais c'est assez cruel d'être en ambuscade et de rediffuser en temps réel puis de les repéter en boucle, ad nauseam, toutes les paroles publiques ou privées des gens qui ont du pouvoir, surtout quand ils débutent dans le métier... Ils sont hyper-doués, mais leur laisser un état de grâce de 24 heures ne serait pas exorbitant ! Sans ces radios en continu, qui ont besoin de chair fraîche, de mots frais de travers à chaque instant, on pourrait peut être leur ficher la paix et ne pas obliger les syndicalistes à intervenir sur un mot, immédiatement...!

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire