lundi 28 octobre 2013

Xi'an, Sian, 西安


J'ai voulu démarrer ce blog on line quand j'étais encore à Xi'an, mais l'accès à Blogger est bloqué, en écriture comme en lecture. Ce que dit la presse occidentale sur l'interdiction de certains accès internet en Chine, dans le genre libre expression, se constate donc assez simplement !

Je voulais parler de cette semaine passée en Chine, sans intention de rien en dire de négatif ou de faux, a priori. Mais les censeurs chinois ne sont pas dans ma tête.

Le lieu est Xi'an, 西, la paix ou le calme occidental si l'on traduit le sens des caractères, une capitale provinciale de seulement 9 millions d'habitants.  Il n'y a que deux villes de cette taille en Europe !  La Province, c'est Shaanxi, 陝西, même Xi (西) que celui de Xi'an, qui veut dire l'ouest (le nishi japonais).  

Une ville du cœur de la Chine, donc loin des villes de l'est censées concentrer la croissance, la richesse découverte depuis le début du XXIème siècle et une classe moyenne affluente – telles qu'on voit les choses en Europe.  Xi'an est une ville moderne, qui n'a pas grand chose à envier à Beijing, Shanghai ou Hong Kong, sauf que la démesure en cœur de ville y est moindre : les immeubles ne concourent pas avec la tour Eiffel, malgré leurs cinquantaines d'étages[1], et il n'y en a aucun dans la "vieille" ville enfermée dans ses remparts, qui l'encerclent complètement.  Par contre, quand on la quitte, les tours se succèdent en rangs serrés, comme des forêts de crayons qui enveloppent la ville en anneaux sur une vingtaine de kilomètres, au moins.

Xi'an a été la capitale de la Chine, sous 18 dynasties nous disent les livres, mais je peine déjà à me rappeler les 11 principales d'entre elles (Xia[2], Shang, Zhou, Qin, Han, Sui, Tang Song, Yuan, Ming, Qing); les autres doivent se cacher dans les espaces de Calabi Yau des Royaumes combattants ou des Printemps et Automnes… Ce statut de capitale remonte aux siècles qui ont précédé et suivi l'an 0 sur des périodes énormes, plus de dix siècles.  Xi'an a été la plus grande ville du monde, au temps de notre haut moyen âge, avec un million d'habitants (sous les Tangs, aux VIIIème et IXème siècles).

Cette façon de suivre l'histoire de la Chine au travers les dynasties de rois et d'empereurs qui l'ont incarnée rappelle l'Egypte[3] avec laquelle elle partage l'émergence de ce qu'on appelait la civilisation, au temps où j'apprenais l'histoire à l'école.  Sans éclairer beaucoup sur la construction de la nation et sur le sens que ce concept a eu ou a encore dans ce pays. Mais on n'apprend pas la Chine en 8 jours, ni en dix fois 8 jours.

Le plaisir de venir en Chine, c'est de se plonger dans ce pays, mélange d'histoire très ancienne, de traditions et de modernité, et si plein de vigueur dans ces quartiers en ville qui semblent encore participer à la fois de la campagne et des siècles passés.  Des foules de gens qui vivent et travaillent dans la rue, pas qui y passent les écouteurs aux oreilles comme dans nos villes occidentales. Evidemment, il y a de ma part une recherche du pittoresque, du différent, de ce qui a disparu ailleurs, chez nous, car les quartiers modernes sont tout aussi peuplés de jeunes gens les yeux rivés sur l'écran de leur smart phone qu'ailleurs, image étonnante de la globalisation ou de la mondialisation.

Pas difficile de croire que la classe moyenne chinoise compte aujourd'hui 400 millions de personnes, autant que la population totale de l'Europe (507 millions). C'est cette création ex nihilo qui justifie les déclarations optimistes de l'ONU selon lesquelles la sortie de gens de la pauvreté est plus rapide qu'elle ne l'a jamais été, tellement rapide que cet objectif du millénaire a été atteint en avance du calendrier.  Une bonne chose pour la Chine elle-même, qui se transforme en réplique des Etats Unis urbains des années cinquante, le modèle d'urbanisme que le pays a choisi il y a 30 ans et qu'il a construit patiemment depuis sans moufeter, enfilant les périphériques les uns autour des autres – il y en a 6 à Beijing et 2 à Xi'an, et livrant ainsi la ville à la voiture.

Manque de pot, ce qui devait se produire s'est produit : les villes sont devenues d'immenses embouteillages à toute heure de la journée, même à Xi'an.  Et l'air, inodore et incolore est devenu visible et épais - sensible : une brume permanente, un smog qui ne laisse passer qu'une lumière jaune (attention au réglage de la température de couleur de votre appareil photo !)  enveloppe les villes, même quand le soleil arrive à percer et que le vent souffle. Il faut un typhon pour le nettoyer pour quelques jours ! Les écologistes parlent de 500,000 morts par an du fait de cette pollution, c'est cher payer pour sortir de la pauvreté !

Evidemment, la Chine diagnostique ses propres problèmes et réagit. A une vitesse assez surprenante. Xi'an, pays des autobus et des voitures, s'est dotée de deux lignes de métro automatiques, comme la ligne 14 à Paris – Beijing a 17 lignes construites et 7 encore en construction. Attendre, parfois, permet de bénéficier des dernières technologies et d'éviter les fautes faites par les autres.  Mais elle n'a pas encore tiré toutes les conséquences de ses  propres erreurs : les autoroutes urbaines surélevées, qui sillonnent Shanghai, ne sont pas encore transformées en jardin suspendus de Babylone, ce qu'apportera nécessairement la transition verte, volens nolens.  Voir de la même façon comment la Chine s'est dotée en quelques années du réseau de TGV le plus développé et le plus ambitieux du monde[4] (un modèle pour les Etats-Unis, retour d'ascenseur ?).

On doit envisager que la Chine va de la même façon décarboner rapidement son économie, même si elle a fait exactement le contraire jusqu'à maintenant, même si le travail paraît immense, vu par nos yeux occidentaux et au travers de nos refus, dans le monde industriel, d'en payer le prix pour nous mêmes.  Aujourd'hui, la Chine est devenue numéro un dans le monde en énergie renouvelables et il n'est pas impossible de penser qu'elle va aussi le devenir dans tous les domaines liés à l'environnement, y compris ses enjeux globaux.  Rien n'est sûr, mais vu la façon dont le pays fonctionne, encore très top down, malgré ses apparences de capitalisme débridé, on peut y croire.

L'autre grand étonnement, c'est la coexistence de systèmes de prix différents pour des services comparables. Un repas dans un hôtel chic vaut quelques centaines de Yuans[5], comme en Europe, ou aux Etats Unis. Un bon restaurant chinois, entre 20 et 50 yuans, un repas dans la rue quelques yuans. Certes ces "services" n'ont aucune rapport en terme de qualité, mais ils remplissent la même fonction, celle de nourri le convive.  Les pauvres peuvent manger, la classe moyenne, les riches et les touristes étrangers – ceux, la plupart, qui n'osent pas s'aventurer dans les gargotes.

La très grande majorité des chinois, les 800 millions qui ne font pas partie de la nouvelle classe moyenne, paie peu de chose.  C'est le reflet de leurs bas salaires, qui permettent à nos consommateurs d'acheter chez nous des produits très bon marché fabriqués en Chine. D'autant que les boites occidentales qui font fabriquer leurs produits ici, veillent à ce que les coûts ne soient pas trop élevés, ce qui maintient des horaires élevés, des conditions de travail discutables, des revenus plus que modestes.  Les syndicats en France parlent de dumping social.  Ce n'est pas faux, sauf que c'est un choix consensuel de la chaine qui va du producteur au consommateur. Il y a cinquante ans, on aurait parlé de colonialisme, d'exploitation des peuples colonisés.  Aujourd'hui, on parle parfois aussi de néocolonialisme, mais c'est un discours marqué de gauche ou d'extrême gauche.

Mais sur le fond, il y a une profonde dissymétrie entre des pays riches, où les niveaux de prix et de revenus moyens sont élevés, et des pays plus pauvres, où les niveaux de salaires sont bas mais où le cout de la vie aussi est bas. Les bas salaires en Chine sont bas, mais cela est en partie compensé par un coût de la vie bas. Si la Chine fait du dumping via ses bas salaires,  les pays riches font du dumping négatif en distribuant à leurs citoyens des revenus qui leur permettent de s'acheter le travail des plus pauvres. 

Il me semble que cette question est peu discutée. Il va en effet de soi pour tout le monde (presque?) que les pays pauvres doivent augmenter leurs salaires, mais la proposition contraire, baisser les salaires des riches, en abaissant en même temps l'ensemble du système de prix dans lesquels ils sont immergés, aurait autant de sens. Sens éthique bien sûr, car la mise en pratique n'aurait rien de très évident, hors crises mondiales absolument majeures.

Si on sent peu la pauvreté dans la ville, tellement les gens sont industrieux et semblent toujours trouver à travailler pour gagner leur vie, sûrement chichement, on rencontre des mendiants, peu nombreux pour des européens, mais assis par terre avec une sébile devant eux: des jeunes gens et des vieux. L'indifférence des passants est un autre aspect de la mondialisation !

Il faut aussi dire deux mots du dépaysement culturel, donc jouer au touriste:
  • ·      la beauté des caractères chinois, qui ressemblent un peu aux kanji japonais, ce qui permet de deviner ce qu'ils signifient, et qui décore le jour… et la nuit.
  • ·      les quelques traces d'histoire que la croissance urbaine n'ont pas effacées, comme les fortifications qui entourent encore le cœur de la ville.  On les parcoure en vélo. Les étrangers paient l'entrée beaucoup plus cher que les chinois, autre trace d'une double monnaie, comme ce dont rêve Chevènement pour les pays européens.
  • ·      et les mausolées des empereurs, dans leur démesure, où le souverain Qin Shi Huang (; 259 – 210 AJC) de la dynastie des Qin est enterré avec son armée, des milliers de fantassins de terre cuite et les cavaliers avec leurs chevaux ou les cochers avec attelages et chariots.  Le même empereur qui a construit la muraille de Chine (en fait en a unifié des fragments préexistants), unifié la pays pour la première, d'où son surnom de "premier empereur", tout en réalisant des autodafés et autres atrocités contre les savants.  La Chine moderne est fière de ce lointain passé, qu'elle fait sien en y lisant l'origine de la nation chinoise il y a 22 siècles – un concept difficile à comprendre quand on est européen et qu'on a vu les nations acquérir de la consistance beaucoup plus récemment et après des évolutions complexes.  On ne déclare pas en Europe que l'origine de  l'union européenne en tant que nation, qu'elle n'est pas complètement, est l'empire romain, ou les royaumes celtes ou les villes grecques… même si on y lit les origines de la "civilisation" européenne, au moins de sa culture - terme moins ambigu.


[1] Mais pas d'impatience, il y a des projets dans ce sens….
[2] Au XXIème siècle BC
[3] L'Ancien Empire est daté de -2686.
[4] 9300 km fin 2012
[5] 8 yuans = 1 €

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