vendredi 11 novembre 2011

7 milliards de co-voyageurs...

Proposant un cours minimaliste de démographie, la presse a annoncé, la dernière semaine d'octobre 2011, que le 7 milliardième être humain venait de naître. L'assemblée annuelle de l'Académie Royale des Sciences et des Technologies suédoise aussi, ajoutant que c'était une bonne chose, que l'avenir allait être intéressant. On a même dit 1 milliard d'habitants de plus en 12 ans. Et pas grand monde ne s'est risqué à dire quand le prochain milliard surviendra et le prochain et jusqu'à quand cette croissance durerait. 

Passons quelques secondes à contempler cette merveille d'une population où les gens naissent et meurent en très grand nombre à chaque instant, et pourtant ce dimanche 30 octobre, un compteur qui n'existe pas a, semble-t-il, dépassé 7 dix puissance 9. Deux pays ont même annoncé que le 7 milliardième habitant était né chez eux. 

Ce chiffre de population est pourtant une abstraction absolue, car personne ne sait vraiment quelle est la population du monde à quelques millions d'individus près, elle varie tout le temps et il n'est pas sûr, qu'elle croisse tout le temps : de temps en temps, pendant quelques secondes, ou quelques jours, elle doit décroitre ! Elle l'a fait pour près d'un siècle au temps de la grande Peste, quand la population européenne, la plus grande du monde, a été divisée par deux. Elle l'a fait aussi au néolithique, quand les peuples se sont sédentarisés et ont pris l'habitude de faire beaucoup d'enfants, pour compenser la mortalité des tout petits, tués par les nouvelles maladies transmises par la promiscuité avec les animaux nouvellement domestiqués.

Quelque organisation, quelque part, a décidé de créer un évènement qui n'existe pas vraiment, qui n'est pas mesuré ni mesurable et d'annoncer cet événement majeur que la terre porte plus de gens qu'elle n'en a jamais porté. L'ONU ? Des gens qui portent un message malthusien ou au contraire des optimistes comme les Suédois, ou Francis Mer au WMP de Nancy ? La presse ne cite pas ses sources et c'est dommage. Un petit tour de main pour faire croire qu'elle n'est là que pour rapporter des évènements réels, all the news that's fit to print, et pas seulement des évènements préparés, éditorialisés, fabriqués.

La vraie question qu'on aurait pu aborder, c'est pourquoi 7 milliards et pas deux milliards ou 15 milliards. 

Ou encore, pourquoi la population croit-elle ? Pourquoi croit-elle en ce moment ? La croissance démographique est un fait relativement nouveau, qui n'a pas toujours été de règle, par exemple au temps des chasseurs cueilleurs : pendant des centaines de millions d'années, la population du monde est restée stable.  Ce n'est qu'avec l'arrivée de l'histoire, donc de l'écriture et d'une certaine prospérité, que la population a commencé à croitre, puis à exploser exponentiellement. Où est l’œuf, où est la poule ? Probablement ailleurs, dans des opportunités faites de hasards qui ont déclenché des évènements irréversibles, des machines à cliquets 

D'ailleurs, cette croissance de la population est celle de l'homme - c'est évident, n'est-ce pas ? Les espèces vivantes, elles, ne croissent ni en nombre, ni en volume, et sont même en déclin, un déclin très rapide avec cette cinquième destruction majeure de la biodiversité que les hommes scientifiques annoncent - grande découverte ? La croissance de la population n'est que celle d'une petite niche écologique. 

Si on s'en tient à l'histoire récente, la croissance de la population est due à la transition démographique, un grand mot, qui est un mot valise et qui n’explique pas grand chose. elle exprime simplement que la natalité n'évolue pas aussi vite que la mortalité, ce qui conduit à deux effets miroirs l'un de l'autre, plus de gens vivants et des gens vivant plus longtemps : en terme plus clairs, les gens meurent moins tôt et moins jeunes, alors que les naissances se poursuivent pendant un certain temps au même rythme.

Côté mortalité, il y a là les bénéfices de la "civilisation", cette flaque culturelle venue d'occident, qui s'est étalée sur le monde entier, à la faveur des grandes migrations européennes, des vagues de colonisation, des guerres (si, si !) et du commerce international. Les ONG, les religions et l'humanitaire ont aussi joué un rôle important dans cette campagne mondiale contre la mort, la mort immédiate, et donné une connotation positive à tout cet effort.

Mais il faudrait vérifier, dans cent ans par exemple, que la chasse à la mort immédiate, ne s'est pas faite au détriment de la vie des générations futures !

Techniquement, c'est la mondialisation de l'hygiène, dont l'un des inventeurs est par exemple Louis Pasteur qui "a fait naître les microbes" (Bruno Latour), qui a limité l'impact meurtrier des bactéries tueuses héritées des animaux il y a huit millénaires (plus quelques autres). Cela est dû en particulier à l'amélioration, partout où c'était possible, de la qualité de l'eau. On trouve en filigrane, derrière ce décors, l'action des grandes entreprises de chimie, vendeuses de molécules actives de chlore, preuve de leur action sociétale positive (comme on dirait aujourd'hui) et gage de la croissance de leurs chiffres d'affaire.

L'autre élément de cette réduction de la mortalité est la médecine et sa pharmacopée, mélange là aussi d’œuvre civilisatrice et d'immenses profits pour les industries de la chimie fine. Et, pour être juste, derrière la médecine, il y a la biologie sans laquelle les médecins ne seraient rien ! Pasteur était un biologiste, pour ceux qui l'auraient oublié !

Ces sont ces deux dynamiques qui ont déclenché la chute assez rapide de la mortalité, dans toutes les régions du monde et, par une effet vertueux, la croissance du niveau de vie, qu'on a pu longtemps confondre avec celle du PIB. Il y a des contre-exemples, cependant, comme Cuba, où la médecine et la pharmacie sont très développées alors que le PIB stagne (Cuba aide aussi beaucoup Haïti, hic et nunc).

La hausse du niveau de vie renforce hygiène et l'utilisation efficace de la médecine, même si elle a aussi aidé à développer des pathologies d'une autre nature, qui ne s'exprimaient pas auparavant dans un monde aux vies courtes : les maladies virales, les nouvelles maladies comme le SIDA et, surtout, le cancer. Le cancer a aussi une relation forte avec des lobbies industriels comme ceux du tabac. Celui du sucre a aussi pas mal de responsabilité sur un spectre de maladies plus large.

En résumé, la chute de la mortalité est due à l'occidentalisation du monde, à l’histoire assez mouvementée du 19è et du 20è siècle, pleine de conflits et de guerres, et à la mercantilisation des biens d'hygiène et de santé. Des phénomènes relativement rapides et qui ont bénéficié de l’accélération du temps dont on se plait à parler en relation avec notre monde moderne et post-moderne.

Quid de la natalité ? Elle n'a pas réagi aussi vite : ce n'est que dans les pays où le niveau de vie a monté de façon nette, ce qui prend du temps, qu'elle a régressé au point d'ailleurs de tomber ici et là en dessous du taux de renouvellement de la population locale. De fait, la corrélation est peut-être plus forte avec l'éducation qu'avec la richesse, et probablement encore plus avec l'éducation des femmes.  L'effet sur les individus est là aussi très rapide, comme le montre la chute de la natalité dans les populations immigrées en Europe occidentale : ce sont les sociétés qui évoluent plus lentement.

Le résultat de tout cela est que les pays riches ont une croissance démographique lente, voire stagnante ou négative, alors que les pays pauvres croissent très rapidement et que les pays émergents sont en transition, avec des pics de population annoncés à terme court pour la Chine et l'Inde par exemple. Cela a conduit le peuplement de la planète à se déplacer vers l'Asie, ce qu'on traduit habituellement en disant que le c'est le centre de gravité économique qui s'y est déplacé, une confusion de nature synecdotique. Au siècle prochain, le 22è, ce sera, peut-être, au tour de l'Afrique de prendre un rôle de leader sur la planète, si le sida, le paludisme et le changement climatique lui en laissent l'occasion.

Les propos cinophobes qu'on tient en Europe, pas seulement dans les milieux xénophobes et ethnocentriques, sont liés à cette "découverte" que l'action qu'on a dit civilisatrice de l'occident (...!) a conduit à déplacer le pouvoir du nombre (d'habitants et de dollars/yuans) vers l'extrême orient.

De fait, c'est à un réexamen du rôle historique de l'Europe, que cela devrait conduire. Car, au premier siècle de notre ère, deux villes dans le monde dépassaient 1 million d’habitants : Rome et Pékin/Beijing. Nous sommes donc revenus, après deux mille ans, à une réalité historique ancienne !

On pourrait aussi se dire que si l'Europe et l'Occident avaient exporté l'éducation pour les femmes aussi efficacement que leur eau de javel ou leurs antibiotiques, la planète ne serait pas aussi peuplée qu'elle l'est aujourd'hui. Ni aussi urbanisée, ni aussi créatrice de nouvelles maladies, etc. Peut-être la biodiversité se porterait-elle mieux également.

Mais sauf à adhérer aux nouvelles théories de la physique qui parlent d'explosion de réalités parallèles (e.g. Hawking), et de le faire de façon quasi-littérale, ce genre de remarque relève, un peu, du café du commerce. La passé est mort ou appartient à des réalités auxquelles nous n'auront jamais accès et seul l'avenir est en face de nous. Nous pourrions peut-être, grâce à la politique et au bon sens, avoir une influence sur lui... ?

En commençant cet article, je me demandais si la croissance démographique avait un rapport avec le flèche du temps.  Je n'en sais rien du tout et c'est de fait peu probable, puisque la croissance de la population devrait se terminer dans le courant de ce siècle. Du fait de la fin de la transition démographique ou, pire, de catastrophes liées à la croissance démographique qui pourraient siffler la fin du jeu ou de la partie !


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