samedi 19 novembre 2011

Les subprimes et Mittal...

Les subprimes, c'est un histoire d'emballement de la bourse pour des prêts accordés à des gens qui n'avaient pas les moyens de les rembourser pour acquérir des biens immobiliers. Une tromperie non pas sur la marchandise, mais sur la capacité de la payer, avec l'illusion que la valeur du bien garantissait emprunteurs et prêteurs de tout défaut. Ca a fonctionné tant que le prix de l'immobilier s'est gonflé avec une bulle qui a accompagné celle des prêts, se renforçant l'une l'autre dans un effet Larsen.

Dans la sidérurgie, on a assisté au même phénomène, en 2006, quand l'économie s'est envolée, en particulier la demande d'acier, que les mineurs n'ont pas pu suivre et donc que les prix ont explosé, minerai, coke (de 80 à 500 €/t) mais aussi acier.

La famille Mittal, à l'affût d'investissements pour alimenter sa croissance externe, a lancé sa célèbre OPA sur Arcelor, que les investisseurs éparpillés ont accepté, les analystes expliquant que la prime à l'achat était avantageuse (26,9 G€ à 40,37€/action).

L'affaire conclue, les prix ont continué à flamber et le cours de l'action d'ArcelorMittal (AM) a suivi, remboursant ainsi largement le prix d'achat d'Arcelor. Les autres sidérurgistes ont été emportés vers le haut dans cette bulle et la profession entière s'est dopée à l'optimisme, pendant qu'on admirait la finesse d'analyse de Mittal, qui avait vu cette évolution avant les autres et en avait profité pour doubler la taille de sa maison - c'est ainsi en tout cas que l'histoire a été racontée.

Evidemment, la bulle n'était pas identifiée comme telle à cette époque, où l'on parlait de retour de l'industrie de l'acier à sa vraie valeur, etc. (violons), un discours d'autant plus facile à croire que la sous-évaluation des actifs de l'industrie est une constante mal ressentie par les industriels. Riche de l'explosion de sa valeur patrimoniale, ArcelorMittal a poursuivi sa croissance boulimique, avec cette vision prophétique qu'il était urgent de se préserver des à-coups des marchés de matières premières en s'intégrant vers l'amont et donc en enfilant les habits de mineur. L'histoire est remplie de professions qui ont émigré loin de leur coeur de métier et ont réussi ce pari, LOL ! Les achats ont été réalisés à coups d'emprunts que les banques octroyaient bien volontiers à une entreprise, riche, visionnaire et si bien gérée. Garanties sur la valeur de la société.

Arrive la crise de 2008. Le groupe AM fait preuve d'habileté, puisqu'il réussit à maintenir sa rentabilité tout en réduisant sa production de 50% - ce que font aussi les concurrents. Et il continue à acheter mines de fer et de charbon et à lancer leur mise en exploitation à des coûts fantastiques.

Une courte pause est nécessaire pour indiquer en quoi les métiers de sidérurgistes et de mineurs sont différents :
  • dans le premier cas, une gestion à court terme est nécessaire, pour adapter la demande à l'offre.  La crise de 2008 a montré que la marge de manoeuvre était beaucoup plus large qu'on ne l'avait pensé par le passé. On est donc dans ce métier sur une temporalité courte, même si la gestion des investissements exige une vision à plus long  terme - mais on n'investit pas beaucoup dans la maison AM hors croissance externe. 
  • dans le second cas, il faut une temporalité beaucoup plus longue, pour identifier, acheter et mettre en exploitation de nouvelles mines (une dizaine d'années), puis pour en gérer la production.  
La complémentarité de ces deux temporalités n'est pas évidente, comme le désengagement de Rio Tinto de ALCAN vient de la mettre en évidence une fois de plus. Parenthèse fermée.

La bourse et ses analyses, qui voient les marchés de l'acier croître moins vite que par le passé - en tout cas ceux où AM est implanté - croient de moins en moins à la santé future du groupe et le prix de l'action baisse de 62 (62,89 € le 23/06/2008) à 13 € (13.075 € le 19/11/2011) ce qui met la valeur du groupe et ses 1,5 milliards d'actions à 19,5 G€, soit les deux tiers de ce qui a été payé pour racheter Arcelor, qui n'en constitue qu'une petite moitié).

A ce point de l'histoire, le scénario ressemble diablement à celui des subprimes. On a emprunté beaucoup d'argent, gagé sur le prix d'une entreprise qui vaut aujourd'hui 5 fois moins cher.

Alors, que nous réserve l'avenir ?

Les analystes financiers annoncent encore une prévision de cours de 60€/action pour AM : l'économie va passer le gros ralentisseur qui est sur la route et se remettre à rupiner semblent-ils dire.

Ailleurs, c'est la cacophonie, où on mélange tout. Côté Krugman, pour qui j'ai un faible, la crise de 2008 ne nous a jamais quittés et on n'en sortira pas sans une relance 3 ou 4 fois plus forte que celle de 2009. De l'autre côté, les moralistes, qui assimilent l'économie à un monde biblique, comme les républicains US ou les Chrétiens démocrates allemands, pensent que la vertu et l'effort sont nécessaires le plus vite et le plus dur possible. Evidemment, à force de saigner le malade, il va finir exsangue et cela peut très vite conduire au comas irréversible.

Que va-t-il arriver à AM pris dans ce maelström ?

Si tout va très bien, madame la marquise, l'économie va se ressaisir : les pays émergents, qui donnaient des signes d'essoufflement, vont repartir comme en quarante et les pays développés afficher des croissances faibles mais pas nulles. La production d'acier remonte, même en Europe, et on se ré-endort en attendant la prochaine tempête. Les élections démocratiques vont continuer à pratiquer les chaises musicales en ramenant les oppositions, quelles qu'elles soient, au pouvoir. Les actions de AM vont remonter, mais 60€ me paraissent complètement délirants, à moi qui ne suis pas un analyste boursier.

Si la crise se durcit, alors sauve qui peut ! La bourse va plonger, les banques vont manquer de liquidités, les états européens d'abord et tous ceux qui ont de fort déficits budgétaires et commerciaux ensuite, vont tomber en faillite. Scénario crise de 29, relisez vos livres d'histoire. Les usines vont fermer, les entrepreneurs sauter par les fenêtres (c'est pour cela qu'il vaut mieux avoir un bureau dans un petit hôtel particulier en Europe, que dans un high rise àWall Street). Les indignés vont attraper les banquiers et les attacher à la lanterne, morts ou vifs, avec ou sans leurs attributs masculins.

La vérité est probablement quelque part entre ces deux scénarios très contrastés, elle l'est presque toujours.  AM peut abandonner l'Europe, c'est-à-dire fermer ses usines ou les vendre, à supposer qu'il y ait acheteurs. Ou simplement dégraisser, belle expression, et ne garder que ce qui fait sens pour eux. Ou encore se battre, pour que ce soient les concurrents qui ferment leurs usines...

Oh, que je voudrais avoir une boule de cristal et des histoires plus optimistes à raconter !





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